Kattin CHILIBOLOST
Entrevista
Entretien avec Dante EDME
Directeur général d’Euskal Moneta

Dante Edme : On travaille pour anticiper le changement d’échelle

Cofondateur de la monnaie locale Eusko et directeur général de l'association Euskal Moneta, Dante Edme Sanjurjo revient sur les ultimes rebondissements de l'affaire portée en justice. Il se dit confiant quant à l’avenir et à l’évolution de la monnaie alternative du Pays Basque. Qui représente déjà la seconde monnaie locale la plus utilisée en Europe.

Dante EDME. © Bob EDME
Dante EDME. © Bob EDME

Jean-René Etchegaray a annoncé qu’il proposerait à la Communauté d’agglomération Pays Basque de signer une délibération semblable à celle de Bayonne. Une délibération qui conduirait l’Agglo, avec l’accord des élus, à adhérer à l'eusko. Qu'est-ce que cela représente pour l'eusko ?

Dante Edme Sanjurjo : C'est une grande nouvelle, pour tout le territoire. Si la proposition avance, ce sont des dizaines de mode de gestion de services publics qui pourraient passer à l'eusko. L'agglomération représente un acteur économique important, avec de nombreux contrats avec les entreprises. Et avec la capacité de distribuer des subventions aux associations. Le fait que la ville de Bayonne, et peut-être demain l'agglomération, s'implique aussi fort en faveur de l’Eusko représente un grand levier de développement pour la monnaie locale du Pays Basque.

Plusieurs villes ont des conventions signées avec Euskal Moneta, pourquoi celles-ci n'ont pas été portées en justice ?

D.E.S : Toutes les communes du Pays Basque Nord ont déjà fait un grand pas en adhérant et en acceptant les paiements en eusko dans les services publics locaux. Cela a déjà été fait en France. Encaisser les eusko, c'est possible. Par contre, aucune structure publique du Pays Basque ni d'ailleurs ne fait de paiement en monnaie locale. Pour la simple raison que l'analyse juridique établie jusqu'à présent laissait penser que ce n'était pas possible. Mais Jean-René Etchegaray, qui est avocat en droit public, a exposé des arguments qui font penser que si, que c'est possible. Il relève une contradiction dans le droit français qui permettrait de mener la bataille pour rendre les paiements possibles. C'est sur cette base que nous avons engagé la convention. Et les avocats spécialisés en économie sociale et solidaire qui ont été engagés pour préparer la défense du dossier ont une analyse très novatrice, très poussée, qui aujourd'hui nous fait penser qu'il n'y a aucun obstacle à ce qu'une ville puisse payer en eusko.

C'est la raison par laquelle vous expliquez le non-lieu ?

D.E.S : Non, le non-lieu est technique. Le préfet avait attaqué la délibération de la Ville de Bayonne, mais la convention prévue par la délibération ayant été signée, ce recours est devenu caduque. Le préfet, s’il souhaite poursuivre, doit attaquer la convention elle-même. Ce qu’il a décidé de faire selon les informations de France Bleue Pays Basque mercredi matin. Mais j’espère que l'Etat, que représente le préfet, va adopter une attitude constructive, et établir une discussion pour confronter les analyses et trouver une solution garantissant à la fois le droit d’initiative des collectivités et la sécurité des paiements en monnaie locale. Après le travail des avocats, je pense sincèrement qu'il est possible de faire en toute sécurité des paiements en monnaie locale pour une collectivité locale. Y compris dans le cadre règlementaire actuel.

Si jamais la convention avec la Ville de Bayonne venait à être appliquée, ce serait la première fois, dans l'Etat français, qu'une telle expérience se produirait ?

D.E.S : Oui. A ce jour, un tel modèle n’existe qu’en Angleterre. A Bristol, les indemnités du maire sont réglées en monnaie locale. Les habitants et les entreprises paient des impôts locaux en monnaie locale.

L'eusko est né en 2013, la carte numérique fonctionne depuis neuf mois, maintenant, le président de l'Agglomération affiche la volonté d’y adhérer aussi... Comment l'association appréhende-t-elle ces évolutions ?

D.E.S : Nous nous sommes structurés pour cela. Cela fait bientôt deux ans que l'on se prépare en se professionnalisant. Qu’on travaille à anticiper le changement d'échelle. Nous avons un plan de développement de trois ans qui prévoit d'arriver à l'équilibre économique en 2020. L'équilibre économique, cela veut dire vivre des cotisations des adhérents et ne plus dépendre des appels à projets, des subventions ou d'autres ressources que de celles de nos adhérents. Pour y parvenir, nous devons doubler le nombre d'adhérents d'ici à trois ans.

Combien en comptez-vous aujourd'hui ?

D.E.S : L'eusko a 3 000 adhérents particuliers, 700 professionnels, parmi lesquels des commerces, des associations, des paysans, des médecins... Et le passage au numérique a facilité l'engagement en faveur de l'eusko. Aujourd'hui, nous avons plus de 900 habitants et plus de 400 entreprises du Pays Basque qui ont un compte en eusko. Ces comptes fonctionnent dans un système indépendant, qui sont gérés par l'association Euskal Moneta, au Pays Basque, et sans but lucratif. Il n'y a ni frais de virement, ni frais de tenue de compte, il n'y a que les frais de cotisation annuelle.

Pensez-vous pouvoir en attirer beaucoup plus ?

D.E.S : Nous sommes confiants pour cela parce que cela répond vraiment aux problématiques actuelles au Pays Basque et au delà. Ce que fait l'eusko, c'est relocaliser l'économie. C’est un système pour des commerces de proximité, contre les commerces de grande distribution. On agit pour l’agriculture paysanne, de transition écologique, la langue basque, l'emploi local. On est au carrefour des problématiques actuelles, et je pense que c'est pour cela que de plus en plus d'élus veulent encourager l'eusko. On sait qu'il y a d'autres mairies qui sont intéressées pour entrer à l'eusko, et on espère qu'il y en aura de plus en plus.

Au vu des proportions que prend l'eusko, n'envisagez-vous pas l'évolution vers une banque coopérative ou une structure autre que celle d'une association ?

D.E.S : Nus y avons réfléchi. Nous pourrions devenir une société coopérative d'intérêt collectif, éventuellement. Mais nous sommes très bien en association. Si tout le monde joue le jeu, nous n'aurons pas besoin de devenir une entreprise capitalistique. Ce qu'il faut, c'est que cela reste “herrikoia”. Que tout le monde y participe. Sinon il y a une autre solution : celle d’aller chercher des investisseurs. Mais j'aime bien l'idée que cela reste une association gérée par ses adhérents. C'est un outil pour le Pays Basque. Il ne faut pas se tromper.

Ces derniers jours, vous avez été sollicité par de nombreux médias. Et par d’autres créateurs de monnaies locales qui vous demandent : “pourquoi l’Eusko ça marche ?” Que leur répondez-vous ?

D.E.S : Qu'au Pays Basque, lorsqu'on monte un projet, on ne fait pas semblant. Et que lorsque tout le monde doit s'y mettre, et bien tout le monde s'y met. Beaucoup me disent : “c'est l'identité basque”. Non, cela ne suffit pas. Ce qui fait notre force, c'est le collectif. L'“auzolana”, ça fonctionne, parce qu'on a compris l'intérêt général, et qu’on sait que les meilleurs choses se font ensemble.