Antton Etxeberri

Le Pays Basque avec les prisonniers

EDITO - "Au moment où se met en place un processus de paix, il est du devoir des Etats français et espagnol de s’y engager pour construire ensemble, de manière définitive, la paix au Pays Basque."

Antton Etxeberri
Antton Etxeberri

Cent mille personnes ont manifesté dans les rues de Bilbo sous la pluie pour réclamer la libération des prisonniers politiques basques dans le cadre du processus de paix qui met du temps à se mettre en place. 100 000 manifestants à Bilbo, cela correspond à une manifestation de 2,2 millions de personnes dans les rues de Paris ! Quelle cause dans l’Etat français est susceptible de faire descendre dans la rue 2,2 millions de Français dans une seule et même ville ?

On peut faire dire tout et n’importe quoi aux chiffres, mais la réalité qui est remontée des rues de Bilbo samedi est difficilement contestable. Le Pays Basque fait aujourd’hui bloc pour réclamer des solutions urgentes pour les 300 prisonniers basques incarcérés dans les prisons françaises et espagnoles. Six ans après Aiete, et quelques mois seulement après le désarmement d’ETA du 8 avril, les Basques lancent un nouvel appel aux Etats afin qu’ils respectent leur propre loi et s’impliquent dans le processus de paix.

Quelques heures avant la manifestation, deux informations provenant de Paris sont publiées dans les médias. La première concerne la découverte d’une cache d’ETA dans un bois landais par un promeneur muni d’un détecteur de métaux (sic). Une cache dont l’organisation ETA n’avait pas connaissance, comme il doit en exister d’autres qui ont été "oubliées ou perdues" durant les 60 années d’existence d’ETA. Cette découverte, qui date du 31 décembre dernier, n’est rendue publique que le 12 janvier, soit, étrange coïncidence, la veille de la manifestation de Bilbo. Depuis le 8 avril, on ne compte plus le nombre d’articles de presse espagnols qui défendent la thèse selon laquelle ETA n’aurait pas rendu toutes les armes… Cette théorie, alimentée par les autorités espagnoles en sous-main, a pourtant été contredite à plusieurs reprises, tant par ETA elle-même, que par des responsables de l’Etat français. Le livre "Le désarmement. La voie basque" qui sortira le mois prochain le rappellera.

L’autre information du week-end provient, elle, directement du ministère de la Justice française : des transferts pourraient être réalisés dans les prochaines semaines pour rapprocher des prisonniers vers le Pays Basque. L’éloignement et la dispersion des prisonniers ont des conséquences cruelles et dramatiques pour les familles des prisonniers. Supprimer cet état d’exception est donc une nécessité, et cette mesure est réclamée inlassablement depuis des décennies. L’Etat français l’a toujours justifié en utilisant le prétexte de la lutte armée au Pays Basque, et a toujours appliqué les consignes espagnoles en ce domaine. Après avoir joué sa propre partition pour la première fois lors du désarmement du 8 avril, l’Etat français semble vouloir aujourd’hui donner des signes de changement.

L’information doit encore être confirmée par des faits concrets, mais elle serait sans aucun doute un grand soulagement pour les 59 familles des prisonniers basques se trouvant dans les prisons françaises. Toutefois, le rapprochement de prisonniers n’est qu’un petit pas parmi l’ensemble des enjeux de la résolution des conséquences du conflit. Certains prisonniers sont maintenus derrière les barreaux alors qu’ils souffrent de maladie incurable, d’autres se voient systématiquement refuser leur demande de remise en liberté conditionnelle alors qu’ils y ont droit depuis de nombreuses années, d’autres sont sous la menace de mandats d’arrêts européens…  Autant de situations à résoudre rapidement.

Ces prisonniers politiques ont un jour pris la décision d’intégrer l’ETA pour défendre la reconnaissance du Pays Basque et obtenir son indépendance, parce qu’ils estimaient que les Etats français et espagnol n’offraient pas la possibilité au peuple basque de décider de son avenir. Engagement inexcusable pour certains, nécessaire et indispensable pour d’autres. Une chose est sûre : les militants politiques qui ont fait ce choix ont payé et continuent à payer très chèrement leur engagement. Les deux démonstrations de force à un mois d’intervalle, depuis Paris le 9 décembre jusqu’à Bilbo ce samedi, montrent que le Pays Basque est prêt à aller de l’avant concernant la question de la résolution du conflit, et qu’il place la question des prisonniers comme une priorité. Au moment où se met en place un processus de paix, il est du devoir des Etats français et espagnol de s’y engager pour construire ensemble, de manière définitive, la paix au Pays Basque.