Goizeder TABERNA

Une clé à trouver

Dans le cadre des discussions en cours avec le gouvernement français, les Artisans de la Paix attendent des résultats pour les mois à venir. Les procès à venir à Paris devraient dévoiler l’état d’esprit dans lequel les magistrats se trouvent. Mais la libération des prisonniers basques n’en reste pas moins une question complexe.

La libération des prisonniers basques est un dossier épineux. La volonté politique permettrait d’avancer dans bien des aspects mais ne pourrait pas régler, à elle seule, tout le problème. Cela fait deux ans qu’une équipe de juristes étudie les possibilités afin de faciliter la libération des détenus se trouvant sur le sol français, par des moyens juridiques comme politiques. Membre de la Commission de juristes pour la paix pour le Pays Basque, Xantiana Cachenaut est arrivée à un constat : “Le 8 avril a fait sauter un verrou. Plus ça va, plus les décisions de justice sont difficiles à tenir”.

Le rôle du gouvernement français est indéniable dans ce dossier. Il peut décréter le rapprochement des détenus dispersés à des centaines de kilomètres de leurs proches et transmettre des directives au parquet. Néanmoins, les juges font également partie de l’équation. Me Cachenaut donne l’exemple du membre présumé d’ETA Mikel Irastorza, libéré sous contrôle judiciaire l’été dernier, avant d’être jugé. “Le procureur avait utilisé tous les leviers possibles pour que cette demande soit refusée, mais grâce à la prise en compte par le juge du contexte politique, le risque de récidive n’a pas été retenu et M. Irastorza a été libéré”, raconte-t-elle.

Les discussions en cours entre une délégation du Pays Basque et l’exécutif d’Emmanuel Macron coïncident avec des rendez-vous particulièrement importants dans les tribunaux. Les procès attendus pour décembre constitueront certainement des cairns dans le long chemin de la libération de tous les prisonniers. Mais les Artisans de la Paix sont conscients, à un moment donné, qu’un régime transitoire ou de dérogation est nécessaire pour y arriver. La Déclaration de Bayonne signée par les élus basques le prévoyait déjà en 2014.

• Le rapprochement des prisonniers : une question de volonté politique

Il s’agit de la seule mesure exclusivement politique dans le dossier des prisonniers. Le rapprochement peut se faire par décision du ministère de la Justice, au cas par cas. Les membres du Collectif des prisonniers politiques basques ont exprimé le désir d’être incarcérés à Mont-de-Marsan. L’été dernier, le tribunal administratif a répondu favorablement au recours présenté par Zuhaitz Errasti, mais depuis d’autres détenus se sont vus refuser leur demande.

Jusqu’à présent, la dispersion est justifiée par des critères fixés par l’exécutif : la limitation du nombre de détenus basques regroupés dans un même établissement ou encore la présence d’une unité de vie familiale pouvant suffire au maintien d’un détenu dans une prison éloignée.

L’absence de centre pénitentiaire pour femmes à proximité du Pays Basque a souvent été évoquée, mais si l’on en croit la directrice de l’établissement de Mont-de-Marsan, une partie pourrait y être aménagée pour les femmes.

• Les magistrats français invités à se prononcer sur plusieurs cas de torture

Sur la soixantaine de prisonniers basques incarcérés dans l’Hexagone, 20 font l’objet de mandats d’arrêt européens s’appuyant sur des déclarations obtenues sous la torture. Avec l’examen du mandat d’arrêt européen (MAE) d’Iratxe Sorzabal prévu le 6 décembre prochain à Paris, la justice française devra décider du sort réservé à ces détenus lorsque les mauvais traitements sont avérés.

L’avocate de la détenue a demandé, pour la première fois, l’application du protocole d’Istambul, procédure qui permet de le vérifier. Puis, elle a demandé à ce que ses conclusions soient prises en compte lors du procès sur le MAE, les juges de la cour d’appel l’ont accepté. Iratxe Sorzabal avait dénoncé la torture subie entre les mains de la Guardia civil espagnole en 2001, photos et rapport médical à l’appui.

“Le protocole d’Istanbul est un outil reconnu par l’Onu en 1999, mais il est peu connu”, explique Xantiana Cachenaut. Elle considère que le refus du MAE sur la base de ce rapport serait une grande victoire : “I. Sorzabal ne serait pas remise à l’Etat espagnol dans le cadre de cette procédure et, en plus, cela ouvrirait la porte au refus d’autres MAE reposant sur les déclarations de personnes ayant déclaré avoir été torturées”. Dans certains cas, le problème est qu’à une époque la pratique de la torture dans les casernes espagnoles étant systématique, et les voies judiciaires totalement fermées, la plainte était rare. Ils sont onze dans ce cas.

• Application de la confusion de peines : les juges devront bientôt trancher

La confusion des peines pour les prisonniers d’ETA est une bataille juridique connue dans l’Etat espagnol, elle l’est moins dans l’Hexagone. Le 18 décembre, ce sera la première fois qu’un détenu arrivé en fin de peine outre Bidasoa, Aritz Arginzoniz, sera jugé par la justice française. Les juges pourraient cumuler les peines prononcées dans les différents Etats ou les confondre, comme le dicte la législation européenne. C’est cette seconde option que demandera son avocate, sur la base d’une décision récente de la Cour de justice de l’Union européenne, concernant un cas roumain. La première bataille sera celle de faire accepter le principe de la confusion, la seconde portera sur la façon de l’appliquer. Une décision favorable pour A. Arginzoniz pourrait servir aux autres détenus basques condamnés dans l’Etat français qui ont déjà une peine à accomplir dans l’Etat voisin.

Dans le sens inverse, une disposition législative espagnole écarte la confusion des peines. Plusieurs détenus ont présenté des recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et les avocats envisagent de s’adresser également à la Cour de justice de l’Union européenne pour non respect de la législation européenne.

• L’accès à la libération conditionnelle dépend du Conseil constitutionnel

Paradoxalement, au moment où ETA cesse son activité armée, en 2011, la libération conditionnelle est de plus en plus difficile à obtenir pour ses prisonniers. Il est courant que le juge d’application des peines exige une distanciation marquée avec leur passé. Les mesures prises après les attentats djihadistes n’ont fait que compliquer les choses. Sur les 31 personnes pouvant en faire la demande avec l’ancienne loi aujourd’hui, seules cinq ont la certitude de pouvoir la demander. “Un nouvel article de loi pose des conditions supplémentaires”, explique Me Cachenaut. L’interdiction de territoire français dans certaines condamnations et le risque d’expulsion du territoire, dans le cas de détenus de nationalité espagnole, ne sont pas compatibles avec la mesure probatoire qu’impose à présent la loi. Sans compter que les délais de sa mise en place sont trop longs au regard de la peine qu’il leur reste à accomplir pour nombre d’entre eux.

En fonctions des décisions à venir des juges, les avocats des détenus concernés apprécieront la nécessité ou pas de soulever l’inconstitutionnalité de l’article. “Les personnes de nationalité espagnole n’auraient plus les mêmes possibilités que les personnes de nationalité française, il y aurait donc un problème d’égalité entre les justiciables”, observe X. Cachenaut.

• Le sort des détenus gravement malades est à l’appréciation des juges

La décision dépend des juges. Dans le cas de demandes de suspension de peine ou de libération conditionnelle pour des détenus gravement malades, l’avocate explique que les juges doivent évaluer si la situation médicale est durablement incompatible avec les conditions d’incarcération. “Ils en font une interprétation restrictive contestable”, estime-t-elle. C’est le cas d’Ibon Fernandez Iradi, prisonnier atteint d’une sclérose en plaques, placé à la prison de Lannemezan. Des rapports médicaux contradictoires l’ont empêché de recouvrer la liberté.

 

Le programme de la journée du 9 décembre

Après s’être arrêté à Lannemezan, Mont-de-Marsan, Toulouse, Marseille, Lyon, et Poitiers hier, la caravane organisée par Bagoaz, Sare et Etxerat se trouve aujourd’hui à Rennes. Elle restera sur place jusqu’à samedi pour ensuite se diriger vers Lille puis Clairveaux. A partir du 7 décembre, d’autres acteurs prendront le relais de la marche et se rendront devant des établissements pénitentiaires de la région parisienne (Réau, Fleury-Mérogis, et Fresnes). Elle terminera sa course au point de rendez-vous pour le départ de la “manifestation pour la paix”, gare Montparnasse, le 9 décembre, à 12 heures.

Les bus partis du Pays Basque y arriveront entre 11 et 12 heures. En guise d’accueil, un rassemblement est prévu devant la gare dès 11 h 30. La “Manifestation pour la paix”, animée par des groupes de musiques basques et internationales, débutera réellement à 12 h 30, pour se terminer avec les prises de parole à 14 heures. Le retour vers les bus et les trains et fixé à 15 heures. Ceux qui ne sont pas concernés par le retour au Pays Basque pourront poursuivre la soirée à l’Euskal Etxea de Paris dès 17 heures.

 

Lorsque les cris des Basques montaient à Paris

Dix mille. C’est le nombre de manifestants attendus le 9 décembre à Paris pour défendre l’avancée du processus de paix au Pays Basque. Une première, au vu du nombre de participants et de ses soutiens. Et une continuité dans l’histoire des revendications en faveur du retour et du rapprochement des détenus au Pays Basque.

Paris a déjà été le théâtre de nombreuses manifestations liées à la résolution du conflit basque. Ainsi, de nombreux proches de détenus basques se souviendront que dès la seconde moitié des années 1990, du moins, diverses organisations et comités de soutiens aux détenus organisaient chaque année un tour des prisons de la région parisienne. Les manifestants, accompagnés de danseurs pour l’aurresku, de txistu et de txalaparta, réalisaient le tour des prisons de la Santé, Fleury et Fresnes, afin de demander la libération et le rapprochement des Basques gardés en détention.

En parallèle de ces manifestations, d’autres appels à aller manifester à la capitale française étaient suivis par quelques milliers de personnes. La plupart basques, venus du Pays Basque en bus.

Le 6 mai 1995. Trois mille personnes manifestent à Paris en soutien aux prisonniers en grève de la faim : le 22 avril, les Basques détenus à Fresnes étaient tous entrés en grève de la faim, suivis le 29 avril par la totalité des membres du collectif EPPK incarcérés dans l’Hexagone. Prisonniers comme manifestants revendiquent la reconnaissance de leur “statut politique” et leur regroupement dans les prisons du Pays Basque Nord.

16 janvier 1999. Derrière une géante ikurriña et une banderole revendiquant le droit des prisonniers, près de 2 500 personnes manifestent dans les rues de Paris. C’est le temps des accords de Lizarra-Garazi, signés le 12 septembre 1998 par

la majorité des partis politiques, associations et syndicats abertzale du Pays Basque, en faveur du dialogue et des négociations en vue de la résolution du conflit basque. Les accords avaient également été ratifiés à Saint-Jean-Pied-de-Port en octobre 1998. Peu après, ETA annonçait un cessez-le feu.

9 juin 2001. Elles sont un peu plus de 3 000 personnes à manifester dans les rues de Paris. Cette nouvelle grande mobilisation marque l’aboutissement d’un tour de l’Hexagone de 27 jours. Un tour de prison en prison.