AINHOA AIZPURU

P. Etxeberria : “Je crois que la diffusion de ces connaissances est essentielle”

Paco Etxeberria est anthropologue et professeur de médecine légale à l'Université du Pays Basque. Référent en Espagne et à l'international pour la récupération de la Mémoire historique, il sera présent au cinéma Le Select, lundi prochain, dans le cadre de la projection du film documentaire “Le silence des autres”.

Paco Etxeberria a coordonné l'ouverture de plus d'une centaine de fosses communes permettant ainsi de retrouver et d'identifier beaucoup de victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste.
Paco Etxeberria a coordonné l'ouverture de plus d'une centaine de fosses communes permettant ainsi de retrouver et d'identifier beaucoup de victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste.

Vous êtes anthropologue légiste. Pourquoi avez-vous été invité à cette soirée autour du film "Le silence des autres" ?

Paco Etxeberria : Cela fait 18 ans que je travaille autour de la Mémoire historique. Mes recherches ont engendré des produits de diffusion et de vulgarisation de ces connaissances, comme ce film documentaire. D’ailleurs, mon équipe et moi-même avons participé dans la plupart des reportages et documentaires réalisés autour de la Mémoire historique. Certains sont des productions basques et d’autres viennent de plus loin. Cela en plus des conférences et des séminaires. Je crois que la diffusion de ces connaissances est essentielle.

Vous avez participé à des exhumations de morts du temps de la guerre civile espagnole et d’autres morts violentes à connotation politique. Quelle est pour vous l’importance de la Mémoire historique ?

P. E : Pour moi, c’est une affaire de justice qui n’a pas été faite. Une situation qui reste non résolue. Toutes les victimes sont égales car en tant que victimes, elles ont les mêmes droits : le droit à connaître la vérité et le droit à la réparation. Dans le cas de ces victimes, celles de la guerre civile espagnole et la répression franquiste, elles n’ont pas pu bénéficier de cette justice. Cela nous mène à une question d’actualité et non pas tellement à une question d’histoire, de passé. Je ne suis pas historien, il y a d’autres experts qui s’occupent de ce volet. Pour ma part, je travaille sur une situation d’actualité afin de garantir aujourd’hui certains droits qui n’ont pas été respectés.

Vous avez pris part à des exhumations avant même la Loi de Mémoire historique de 2007. Croyez-vous que le sujet soit en train d’être bien travaillé en Espagne ?

P. E : La situation est inégale au sein de l’Etat espagnol. Il y a des communautés autonomes qui ont une forte implication sur ce sujet et il y en a d’autres qui l’ignorent. Il y a des endroits, comme en Euskadi, où il existe une volonté politique de travailler le sujet. On a même créé un institut de Mémoire historique : l’institut Gogora, qui dépend du gouvernement basque. L’Andalousie, bien que cela risque de changer avec le nouveau gouvernement de droite, l’Aragon, Nafarroa ou les Baléares sont d’autres régions où il existe un appui institutionnel fort pour la Mémoire historique. En revanche, cela est impossible dans d’autres communautés autonomes à cause de la sociologie franquiste qui est toujours présente. Par exemple, les gouvernements de Castilla-La Mancha, de Murcie ou de Cantabrie n’apportent aucun soutien. En ce qui concerne le gouvernement espagnol, quand le PSOE (parti socialiste) est au gouvernement, il y a une certaine volonté d’aider. Le reste du temps, quand le Parti Populaire de droite est au gouvernement, il n'y a aucune aide ni soutien.

Vous avez aussi participé à des exhumations à l’étranger. Le cas de Victor Jara et Salvador Allende au Chili, est un des plus connus. Comment s'est passée votre expérience au Chili ? Comment était perçu votre travail ?

P. E : Tout d’abord, il faut savoir qu’au Chili, il existe une ferme volonté politique et institutionnelle de s’intéresser à ce qui s’est passé pendant la dictature. Par ailleurs, les cas de disparitions et d'assassinats pendant la dictature sont devant les tribunaux. Je participe dans ces procès en tant qu’expert invité par l’Institut de médecine légiste de Santiago du Chili. Mais au-delà des procès judiciaires, il y a surtout une volonté politique claire sur le sujet : des commissions de vérité ont même été constituées, avec des fonds documentaires sur les tortures, les emprisonnements et le sort des disparus. Au Chili, mon travail a donc été celui de l’expert extérieur qui encadre ces recherches, en sachant que dans les cas d’atteintes aux Droits de l’Homme, on a souvent recours à des experts indépendants et extérieurs.

Vous avez participé aux investigations de militants basques disparus comme Naparra dont le corps n'a toujours pas été retrouvé malgré une piste l'an dernier à Mont-de-Marsan. Où en est cette affaire ?

P. E : Le cas de la disparition de Naparra a été récemment relancé quand les avocats de la famille ont demandé à l’Audience nationale de Madrid de rechercher le corps dans un endroit différent des investigations précédentes. En fait, au moment où l’on a défini les possibles sites où pourraient être les restes de Naparra, on a planché sur deux emplacements, tous les deux proches de Mont-de-Marsan. Celui qui semblait le plus probable n’a apporté aucun résultat. Après réflexion, la famille demande maintenant de chercher dans l’autre emplacement possible. Il faudra donc aller voir cet endroit. Tout cela quand les juges de Madrid et les autorités françaises l’autoriseront, bien entendu.

Vous avez gagné différent prix pour votre travail : le prix des Droits de l'Homme, de la députation de Gipuzkoa, le prix René Cassin du gouvernement basque, des prix d'Eusko Ikaskuntza, ou encore de la Fondation européenne des Droits de l'Homme. Que symbolisent ces prix pour vous ?

P. E : Je suis professeur d’université. La reconnaissance à laquelle je suis habitué est celle de mes pairs. C’est une reconnaissance dans un contexte académique. Lors de congrès ou de séminaires, quand on publie un article scientifique dans une revue prestigieuse, quand on dirige une thèse doctorale, des collègues reconnaissent tel ou tel aspect du travail académique. Cela relève un peu de la routine de notre travail universitaire. Par contre, la reconnaissance sociale est plus rare. Et pour moi, il s’agit de quelque chose de très important car cela me prouve que notre travail, technique et académique, répond à un intérêt social. Cela est très précieux pour moi, tant du point de vue personnel que du point de vue de comment je perçois le travail de professeur d’université.