Nicole Lougarot

Aski !

Les buhame des mascarades de cette année. © Isabelle MIQUELESTORENA
Les buhame des mascarades de cette année. © Isabelle MIQUELESTORENA

Et voilà, c’est reparti cette année en Soule pour la tournée des mascarades, et chaque dimanche les Xorrotx d’Ordiarp annonceront le groupe des Bohémiens avec ce couplet :

“Buhame debrü horik lanik egin gabe, arraza debrü hori bizi dirade / Aberatsik horregatik ez da nihur ere, aldiz sortüak oro ohoinak dirade”.

“Ces diables de Bohémiens sans travail, c’est la vie de cette race / Aussi ne sont-ils pas riches, mais tous ceux qui naissent sont des voleurs”.

Puis l’acteur jouant le roi des Bohémiens déclamera les règles de vie du groupe : “il est défendu de prendre une chose sauf si elle appartient à autrui ; dans les maisons si l’on est invité, entrer comme il faut par la porte mais quand il n’y a personne, doucement par la fenêtre etc...”

Une fois de plus je suis choquée et je vais dénoncer le racisme de cette partie des mascarades.

Alors je vais encore entendre : “C’est de l’autodérision !” Faux : ce sont des Basques qui jouent les personnages des Bohémiens.

“Les personnages des Bohémiens se sont toujours moqués dans les discours de l’ordre établi, et donc des rouges de la mascarade !” Faux : il s’agit là de l’interprétation de chercheurs venus étudier nos traditions, qui ne connaissaient pas le phénomène de sédentarisation des Bohémiens au Pays Basque, les nombreuses mesures de répression à leur encontre et la stigmatisation de ce groupe.

“Puisque maintenant il n’y a plus de Bohémiens en Soule, personne ne sait de qui on parle, donc c’est moins grave !” Faux : Les plus jeunes n’ont pas connu de familles bohémiennes, mais les plus de 60 ans, oui. On parle dans les mascarades des Bohémiens qui ont vécu en Soule. Pour faire rire le public, on reprend leurs surnoms, on les représente fainéants, sans-gêne, avinés et coureurs de jupons et on les traite tous de voleurs. Or si beaucoup de leurs descendants ont quitté la vallée, certains y vivent encore. Mais il est vrai qu’on les rencontre rarement dans les acteurs ou dans le public des mascarades. Et quand il y en a, ils ignorent complètement l’histoire douloureuse de leur famille, ce qu’il vaut mieux finalement !

“De toute façon ce n’était pas des anges les Bohémiens !” Vrai mais... Ceux qui en ont connus les plaignent en évoquant leur vie misérable, disent qu’ils leurs donnaient toujours quelque chose lorsqu’ils venaient mendier, mais ajoutent toujours des anecdotes savoureuses sur certains d’entre eux. Ils en parlent alors en riant car certains Bohémiens avaient le don de déranger en enfreignant les règles, de se moquer de l’autorité des gendarmes ou des gardes-pêches, puis de provoquer en racontant leurs exploits. C’est surtout ce souvenir-là qui est resté dans la mémoire collective.

Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que les Bohémiens ont souvent payé très cher pour ça. Un grand nombre, hommes comme femmes et enfants, ont connu la prison parfois parce qu’ils volaient pour survivre comme d’autres pauvres de la région, mais le plus souvent parce qu’ils vagabondaient et mendiaient. A plusieurs époques au Pays Basque, des mesures répressives disproportionnées ont été prises à leur encontre (chasse à l’homme, éloignement du département, envoi au bagne). De nombreux enfants ont été retirés à leurs parents et ne les ont plus revus. Leurs conditions de vie ont beaucoup changé avec l’industrialisation, quand ils ont été embauchés dans les usines d’espadrilles par exemple ou dans les travaux publics, et aussi quand les enfants ont commencé à fréquenter l’école régulièrement et que les aides sociales ont fait leur apparition. Il a fallu ensuite pour la descendance restée au pays essayer de se défaire de la mauvaise réputation.

“Alors on ne peut plus faire de mascarades !” Faux : à chaque village qui en monte une de se poser des questions sur cette partie du spectacle. Et de détourner la chose comme cela s’est fait dans d’autres mascarades d’Europe. Dans certaines malheureusement, comme en Moldavie roumaine, on retrouve le même ton que dans les nôtres.

Peut-on encore au XXIe siècle, sous prétexte de respecter la tradition, transmettre cette vision d’un groupe humain qui a réellement existé et a été très marginalisé, parfois de façon haineuse ? D’autant plus quand on sait que ce groupe faisait partie du peuple tsigane toujours victime d’exclusion dans de nombreux pays, dans lequel on trouve les Manouches, les Gitans, les Roms… Et les Bohémiens du Pays Basque qui vivent aujourd’hui en majorité du côté de Saint-Jean-Pied-de-Port et dont certains vivent encore à la marge !