AINHOA AIZPURU

Rafael Zulaika : “Le musée a actuellement besoin de plus de moyens”

Après onze ans et neuf mois à la tête du Musée Basque et de l'histoire de Bayonne, Rafael Zulaika se lance dans une nouvelle aventure. Ce Gipuzkoar a accepté de se confier à MEDIABASK et nous livre son expérience bayonnaise, sa vision des échanges transfrontaliers et ses futurs projets.

R. Zulaika sur son canot « Aturri », construit à Bayonne et baptisé dans l’Adour, mais amarré au port de Donostia.
R. Zulaika sur son canot « Aturri », construit à Bayonne et baptisé dans l’Adour, mais amarré au port de Donostia.

C’est dans un bar, chez lui, à Donostia, que la rencontre a lieu. Un endroit simple et chaleureux, à l’image de cet homme passionné et dynamique qui arrive en bicyclette depuis l’autre côté de la ville. Aujourd’hui, Rafael Zulaika vient d’être officiellement présenté au président de la Fondation Elkano. C’est là que le directeur du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne poursuit son chemin dès ce mois de janvier. Un projet dans lequel il entre plein d’enthousiasme même s’il restera toujours attaché à son aventure au Pays Basque Nord et à cette institution bayonnaise qu’il a dirigée durant près de douze années.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne ?

Rafael Zulaika : Tout d’abord, cela a été une expérience très riche, très positive. J’ai d’abord eu une expérience dans un musée à Bilbo, le Musée des Beaux-Arts, pendant six ans, puis trois ans au Musée Naval de Donostia. Cela a été des expériences très différentes, avec un grand musée et une grande équipe dans le premier, et un petit musée et une petite équipe dans le second. Ensuite, j’ai pris mes responsabilités au Musée San Telmo de Donostia. J’étais très fier d’être le directeur du musée de ma propre ville. J’y suis resté neuf ans et demi, là aussi avec une belle équipe et de grands défis comme le lancement de la rénovation intégrale du musée. Après, j’ai quitté San Telmo pour Bayonne, où je suis resté onze ans et demi. J’ai donc eu la chance de travailler en Bizkaia, au Gipuzkoa et au Pays Basque Nord. J’ai pu contribuer au bon fonctionnement de quatre des principaux musées du Pays Basque. J’en suis très fier et cela a été très enrichissant personnellement et professionnellement.

Après, comme anecdote, je dis souvent que le fait d’avoir travaillé d’abord dans le quartier sud de l’eurocité Bayonne-Donostia, puis dans son quartier nord, le fait de devoir m’adapter aux différents modes de vie, au maniement des trois langues, m’a permis de gagner ma première bataille contre Alzheimer ! [rire] En tout cas, je crois beaucoup au service public et je suis très heureux d’avoir pu travailler dans des institutions publiques, au service de la communauté. C’est pour cela que j’ai l’impression d’avoir donné tout mon savoir-faire et même mon savoir-être. Je laisse aussi avec regret un grand nombre d’amis, ainsi que tout un réseau de connaissances, car les musées sont des lieux qui se construisent autour de personnes, aussi bien des partenaires que des prestataires, des associations ou des sociétés.

Et si vous deviez retenir une exposition parmi celles que vous avez programmées ?

R.Z : Ce qui serait plus facile serait d’évoquer la toute dernière, l’exposition sur le groupe Gaur. Elle était vraiment dans un contexte transfrontalier. L’approche était propre à un musée d’histoire, c’est-à-dire expliquer le contexte dans lequel ces artistes se sont regroupés et ont œuvré. Cela a été une expérience fabuleuse, en particulier de travailler avec une équipe qui a relevé le défi d’organiser cette exposition en six mois, ce qui n’était pas facile.

Mais il y en a eu beaucoup d’autres. Ce que nous avons réalisé autour du social m’a particulièrement touché. Les ateliers d’arts avec des personnes handicapées mentales par exemple. Quand ils ont demandé s’il était possible d’exposer leurs travaux au sein du musée, ils s’attendaient à un retour négatif. Et pourtant, on l’a fait avec plaisir et succès. Il y a aussi eu beaucoup d’initiatives transfrontalières. Nous avons travaillé avec le musée Zumalakarregi d’Ormaiztegi, San Telmo de Donostia, ou encore le musée des Beaux-Arts de Bilbo.

Ces trois dernières années ont été marquées par des records de fréquentation. Quels sont selon vous les prochains défis que votre successeur devra relever?

R.Z : ... Rapidement ! [rire] Je dis rapidement car, comme j’évoquais l’exposition Gaur, les projets culturels se doivent d’être préparés consciencieusement et avec du temps. L’anticipation est donc clé dans la réussite d’une bonne exposition. C’est pourquoi, j’espère que la personne qui me succèdera sera rapidement choisie.

L’un des prochains défis sera sans aucun doute le centenaire de l’institution Musée Basque. Elle a été créée en 1922 et a ouvert au public en 1924. Ce sera l’occasion de mettre en place une riche programmation pluriannuelle en terme d’action culturelle, de médiation et d’expositions. Mais cet événement représente aussi un important défi à relever. Le musée a actuellement besoin de plus de moyens aussi bien au niveau de sa surface, qu’au niveau humain et professionnel, des installations ou financier. Comme vous le disiez, la fréquentation a augmenté ces dernières années et a entraîné de nouvelles attentes. Or, l’institution n’a aujourd’hui plus les moyens d’y répondre.

Selon moi, ce centenaire est le moment propice pour prendre les décisions définitives pour l’extension du musée vers l’ancienne caserne de pompiers. La surface gagnée permettrait de mettre en place un centre de documentation et une bibliothèque qui font terriblement défaut. Elle sera aussi utile pour améliorer les conditions d’accueil du public et peut-être même combler le manque de réserves du musée. Ces réserves sont essentielles à une meilleure conservation des objets et à l'enrichissement des collections. Par ailleurs, le musée se doterait ainsi d’une double entrée entre les quais de la Nive, ouverts sur le Grand Bayonne, et la rue Jacques Laffite où se trouve le Musée Bonnat-Helleu. Une véritable artère entre deux poumons de la vie culturelle à Bayonne verrait alors le jour. Cette nouvelle dynamique au sein du Petit Bayonne permettra d'en faire un haut lieu de la culture pour la ville mais aussi pour le Pays Basque.

Mais tous ces projets ne pourront se faire qu’avec une plus forte prise en main par la Communauté d’agglomération. Je ne sais pas dans quelles mesures exactes les accords se passeront entre la Ville, propriétaire des lieux et des collections, et l’Agglo. Mais il est nécessaire de saisir cette nouvelle opportunité.

Enfin, et pour finir, mon successeur devra finaliser un document fondamental : le projet scientifique et culturel du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne. Mais pour cela, il est nécessaire que les institutions établissent clairement ce qu’elles veulent faire de ce musée. Les collections actuelles représentent le Pays Basque d’il y a 100 ans. Une réflexion est donc à mener sur les enjeux contemporains. Quel est le Pays Basque d’aujourd’hui ? Il est grand et varié de la côte basque jusqu’à la Soule. Il est composé de différentes identités. Je pense que l’Agglo doit aujourd’hui prendre sa place dans le projet et donner à l’équipe en place le cap à suivre.

Vous êtes aujourd’hui une personnalité du monde de la culture que l’on pourrait qualifier de "transfrontalière". Comment évaluez-vous ces échanges transfrontaliers dans le domaine culturel ?

R.Z : J’ai l’impression que beaucoup de choses existent quand même. Mais beaucoup ne veut pas dire que ce soit suffisant. Un réseau entre les musées basques existe dans le sens du transfert de certains savoir-faire, de prêts de productions, parfois même de co-production d’expositions. Je continue de penser qu’il y a néanmoins des difficultés en raison des langues. Malheureusement, le français se perd au Pays Basque Sud. Par contre, je me suis aperçu que la présence de la langue basque paraît s’intensifier au Pays Basque Nord. J’en suis ravi et je me dis que c’est finalement l’euskara qui pourra peut-être renforcer les liens unissant les deux côtés de la Bidassoa.

Je pense personnellement qu’une meilleure coopération transfrontalière passera par la volonté individuelle. Ces grandes institutions telles que l’Eurocité ou l’Eurorégion resteront vides si la population ne comprend pas que ces échanges sont dans son propre intérêt. On ne peut pas parler des habitants du Pays Basque Nord comme de "nos frères basques" et les qualifier de "gabachos qui ne viennent que pour les pintxo" quand on les croise dans la Parte Vieja de Donostia. Tout comme on ne peut pas se plaindre de "ces Espagnols qui parlent trop fort" dans les restaurants de Bayonne. Je pense qu’il reste un travail à réaliser pour arriver à dépasser ces clivages. Je pense aussi que les institutions et la société de manière générale sont convaincues du bien fondé de la coopération transfrontalière mais que l’on n’est pas encore assez actif.

A ce propos, je vais évoquer le projet Indianoak d'Ibaialde où un équipage mixte, composé de rameurs basques du nord et du sud, a affronté les eaux de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon à bord d’une traînière. L’image est là : des gens qui ne se connaissaient pas, qui ne parlent pas la même langue, et qui doivent ramer ensemble et dans la même direction. En ce qui concerne la coopération transfrontalière, notre "traînière basque" est une opportunité qui pourrait nous faire aller très loin mais qui nécessite encore quelques entraînements et d’apprendre à se faire confiance.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

R.Z : C’est avec grand plaisir que je vous fais part de mes projets futurs. Aujourd’hui même, j’ai été présenté au président de la Fondation Elkano, pour laquelle je vais travailler les prochaines années. La fondation a été créée dans le but de commémorer le cinquième centenaire de l’expédition qui a été la première à réaliser le tour du monde.

Je travaillerai au sein d’une petite équipe dans laquelle je vais seconder le directeur de la Fondation comme chef de projets. Ces projets-là vont surtout être fondés sur le partenariat, il ne s’agit pas de créer une grande structure. Nous serons les facilitateurs entre différents acteurs culturels et sociaux. L’idée est de partir de la commémoration pour y porter un regard d’actualité. Elkano a été celui qui a pris la tête de l’expédition à la mort de Magellan. Il a abouti un défi. Aujourd’hui, au jour de la mondialisation, les défis sont autres : les migrations, les frontières, les droits de l’homme… Beaucoup de défis sociaux, culturels et sociétaux peuvent être mis en lien avec Elkano. Une École de Pensée Elkano va être créée et mènera une réflexion sur ces derniers.