Xan Idiart

“Aujourd'hui, avoir une licence d’études basques en poche est un atout non négligeable”

Les études basques de la faculté de Bayonne voient leurs effectifs augmenter d'année en année. Un des responsables de la licence et professeur à l'Université, Ur Apalategi, revient sur le succès grandissant de cette filière.

Ur Apalategi enseigne la littérature basque à la faculté de Bayonne. © Bob Edme
Ur Apalategi enseigne la littérature basque à la faculté de Bayonne. © Bob Edme

Vous avez depuis la rentrée dernière plus de trente étudiants en première année d'études basques, un record. Qu'est ce qui selon vous fait le succès de cette filière ?

Ur Apalategi : Il y a plusieurs facteurs même si chaque décision individuelle a ses propres motivations. Je vois déjà une hypothèse démographique. On approche du moment où il y a eu un pic de naissance. Ces gens arrivent à l'âge où l'on s'inscrit à l'université. Mais c'est un facteur qui n'est pas forcément automatique puisque dans d'autres filières de la fac de Bayonne, il n'y a pas eu d'augmentation des effectifs. Il y a aussi un facteur économique. Il est de plus en plus difficile pour des familles de financer les études de leurs enfants et de les envoyer loin. La proximité de Bayonne est un avantage.

Maintenant on peut se pencher sur des raisons intrinsèques aux études basques. Un travail qualitatif a été mené par l'équipe pédagogique ces dernières années. Le contenu a été renforcé et adapté aux besoins des étudiants avec un renforcement de l'aide méthodologie, du suivi et des fondamentaux comme la littérature ou la linguistique. A l'arrivée, on a plus de garanties sur le niveau des étudiants.

L'information s'est aussi répandue qu'il y avait des postes dans l'enseignement en langue basque. C'est un secteur porteur sur le plan professionnel. Dans l'ensemble, l'insertion professionnelle de nos anciens étudiants ces dix dernières année est très bonne. Il y a des emplois au bout, et ce sont des emplois qui permettent de rester au pays. Certains de nos étudiants actuels ont également des contrats EAP (emploi d'avenir professeur). Ils travaillent deux après-midis dans une école et sont le reste du temps à l'université. Ils ont un salaire qui n'est pas négligeable. C'est un luxe de pouvoir suivre ses études dans ces conditions.

Mais il y a aussi des emplois en dehors de l'enseignement, non ?

U.A. : Oui bien sûr. D'autres types d'emplois se développent comme la traduction, l'interprétariat, les techniciens de la langue basque dans les collectivités territoriales... On peut aussi bifurquer après une licence d'études basques vers le journalisme par exemple. On a des anciens étudiants qui sont passés par des écoles de journalisme ou qui ont directement intégré le monde des médias, la presse écrite, la télévision, la radio... Aujourd'hui, c'est un atout non négligeable d'avoir en poche une licence ou un master d'études basques. Cela certifie un niveau linguistique mais aussi une connaissance approfondie de la culture basque qui peut servir dans l'environnement professionnel.

Pour revenir à l'augmentation des effectifs, est-ce que cela apporte des changements au niveau de la manière d'enseigner ?

U.A. : Non, pas vraiment. On est à un seuil qui ne nous oblige pas à repenser nos méthodes. On n'est pas encore au chiffre de 40 ou 50 étudiants, ce qui nous forcerait à faire des groupes ou à dédoubler certaines choses. On est à la limite de ce changement. Je ne sais pas ce que l'avenir nous apportera. Est-ce qu'on va continuer à croître ? Est-ce qu'on va se maintenir dans ces excellents niveaux de recrutement des étudiants au sortir du baccalauréat ? Espérons qu'il y aura au moins un maintien.

Il y a quand même eu des changements d'ordre pratique, non ?

U.A. : Le changement, c'est surtout qu'on nous considère mieux au sein de la faculté. Nous ne sommes plus une formation très modeste comme avant. Nous sommes une formation certes qui est toujours la plus petite en terme d'effectifs de la faculté, mais on se rapproche d'autres filières comme les Lettres. Maintenant, on nous accorde un peu plus d'attention au moment de définir le planning des salles. Des détails importants dans l'organisation de la vie quotidienne à l'université.

Pourquoi ? Comment cela se passait-il avant ?

U.A. : (Soupir) La logique du chiffre prime à l'université, et donc la priorité est automatiquement donnée aux grands effectifs. Pour la réservation des salles, il nous est arrivé de faire cours dans des salles qui ne sont pas adaptées à nos nécessités. L'absence de vidéo-projecteur, des salles trop petites... Après, cela ne nous arrive pas qu'à nous, et ça ne risque pas de s'améliorer puisqu'à la rentrée prochaine, il y aura deux nouvelles filières à Bayonne : LEA (langues étrangères appliquées) et Histoire. Maintenant il faut nous en donner les moyens, au niveau du matériel comme du personnel. Ça va être compliqué, car l'Etat abandonne les universités notamment les Humanités.

Donc, même si les effectifs d'études basques sont en augmentation, vous continuez à avoir des craintes pour l'avenir de cette formation ?

U.A. : On est toujours inquiet et on l'a toujours été depuis la création de cette filière. Il ne se passe pas une année sans qu'on ait des soucis et des angoisses existentielles. C'est notre destin. Dans ce cadre institutionnel, on n'échappera jamais à ce genre de préoccupation. C'est un combat permanent, et nous sommes là pour nous battre, défendre notre filière jusqu'au bout. Elle a sa place dans la société basque. Elle répond à une demande sociale et remplit sa mission du mieux qu'elle peut. Maintenant, c'est à nos politiques de nous soutenir. Les ouvertures de poste sont toujours des décisions politiques par exemple. Nous, tout seuls, ne pouvons infléchir ces décisions, mais c'est avec le soutien de la société civile, de nos étudiants et des politiques qu'on arrivera à offrir à la société basque ce qu'elle mérite : une formation en langue basque solide et bien organisée. Pour l'instant, le travail de l'équipe pédagogique est bon, mais il est réalisé dans une certaine précarité.

Pour les lycéens qui hésiteraient à s'inscrire en études basques, pouvez-vous décrire le profil type d'un étudiant de cette filière ?

U.A. : Le profil type n'est pas facile à établir puisqu'on a beaucoup de diversité. Elle nous surprend d'année en année. On touche toutes les filières du secondaire, Seaska, le privé confessionnel catholique et le public avec Ikas bi. Géographiquement aussi, il y a une diversité. Les étudiants viennent de Soule, de Basse-Navarre et du Labourd, et même de la Communauté forale de Navarre. Ils décident de faire leurs études basques à Bayonne plutôt qu'à Gasteiz. C'est un phénomène qui tend à devenir durable. Chaque année, il y aussi des étudiants de Gasteiz qui viennent dans le cadre du programme Erasmus. On espère que ça va continuer et que ça va même s'accentuer. Ce mélange de profils est enrichissant pour les étudiants, sur le plan humain et sur le plan pédagogique. Il y a un mélange des références intellectuelles et des types de basque employés.

Justement, est-ce que tout le monde maîtrise l'euskara au moment d'entrer en licence ?

U.A. : Là aussi, il y a une diversité. Il y a des gens qui ont une bonne maîtrise dès leur arrivée, et d'autres qui ont un niveau plus modeste. Nous, nous exigeons au minimum le niveau B2. Alors nous proposons des matières optionnelles pour aider les étudiants à rattraper leur retard. Généralement, cela porte ses fruits et les étudiants font d'énormes progrès et arrivent au bout de la licence avec un niveau C1 qui est le minimum requis pour pouvoir aller ensuite sur un terrain professionnel.