Joana IRIGARAY

”Un événement qui disparaît du panorama est peut être le signe d’une victoire”

Le sociologue Txomin Poveda est en train de rédiger une thèse sur les “Pratiques militantes alternatives en Pays Basque Nord“, ce qui fait de lui un interlocuteur privilégié sur ce vaste champs d’investigation, capable d’offrir une lecture sociologique de la situation venant confirmer certaines intuitions soulevées précédemment.

Txomin Poveda. © Isabelle MIQUELESTORENA
Txomin Poveda. © Isabelle MIQUELESTORENA

Les associations sont-elles en difficultés ou est-ce juste une impression ?

Ce n’est pas juste une représentation des choses. Effectivement, il y a des organisations en galère. Certaines meurent faute de renouveler l’engagement ou l’adhésion du public, c’est l’histoire. On regarde des anciens outils qui ont été montés dans un type de société et l’évolution de ces outils qui s’effritent dans une société qui change comme le contexte. Mais à côté de ça, il y en a pleins qui fonctionnent super bien. C’est ça qu’il faut réussir à voir.

Comment expliquer les difficultés de certaines associations en Pays Basque Nord ?

Ces organisations avaient été créées il y a de ça une quarantaine d’années dans un contexte où l’activité culturelle avait une fonction très spécifique et hautement politique. Lapurtarren Biltzarra comme la plupart des organisations culturelles qui utilisaient la culture comme vecteur politique sont grandement en difficulté. La fonction qu’avaient les activités culturelles à cette époque-là n’est plus tenue aujourd’hui. Danser les mutxiko au milieu des années 70 ou organiser un kantaldi dans une église, c’était super politique. Aujourd’hui, un kantaldi dans une église... Sur la question culturelle, la toile de fond est modifiée. Pour preuve, ces comités des fêtes qui organisent un concert avec un groupe qui chante en euskara et pas un podium DJ.

C’est donc lié au contexte politique ?

Des mêmes pratiques culturelles n’ont pas les mêmes fonctions, selon les contextes dans lesquelles elles évoluent. L’évolution du contexte et de la situation a fait que la portée du politique a décliné, voire disparu. Certaines associations se retrouvent à faire une pratique culturelle pour faire une pratique culturelle, sans l’enjeu politique qui était la raison même de sa création. Même si de fait, le culturel est un support politique : si une association culturelle ne pense pas ses activités comme un moyen, avec pour finalité une transformation sociale, cela devient un divertissement consumériste quelconque, il faut juste revoir ses objectifs.

La mobilisation est-elle en perte de vitesse ?

On ne se mobilise plus de la même façon. Lorsqu’il y a un enjeu central calé sur les préoccupations des gens, ils se mobilisent. Les gens sont encore prêts à donner beaucoup. La question est de connaître l’enjeu de lutte posé et la pratique militante proposée par l’organisation. L’engagement a changé dans sa forme, mais pas dans sa nature. Les gens sont encore prêts à donner beaucoup quand les enjeux sont là, ils sont prêts à faire un effort.

Les modes de mobilisations changent-ils aussi ?

Au niveau des types d’engagement, on attend plus un changement brutal de la situation par un “grand soir”. La conséquence est que les gens ne sont plus prêts à s’engager à fond. On est dans une société dans laquelle l’émancipation individuelle permet aux gens de doser leurs engagements. Ils veulent conserver le contrôle, la possibilité de s’y mettre à fond ou d’en sortir un peu, sur un laps de temps défini ou pas. Comme être sur différentes associations en même temps, sur différents axes de lutte. Les individus sont hautement complexes à l’instar de la société dans laquelle ils évoluent, société qui offre un tas d’axes de luttes et de revendications. On a souvent l’impression qu’on est dans un désengagement total et que les gens ne veulent plus militer : ce n’est pas du tout le cas. On est dans une société dans laquelle les désirs d’engagements des gens ont changé. Si elles ne le captent pas, les organisations politiques et culturelles n’arriveront pas à faire une offre appropriée.

Et le peuple basque est-il prêt à suivre cette dynamique de mutation ?

Il n’a pas le choix. Soit il y va, soit il n’existe plus. La construction d’alternatives, d’engagements est lié à ça. Tu sais que tu ne peux pas faire la révolution depuis le village. On ne va pas monter des barricades dans les rues de Paris ou Madrid. Pour changer les choses, soit tu le fais toi, sois tu ne l’as pas. C’est un type de pratiques très intéressant puisque tu n’attends ni le grand soir, ni le volontarisme des décideurs politiques. Les choses sont faites dans le bon sens, elles partent de la base. C’est un modèle qui se crée.

Que peuvent faire ces organisations qui ont entamé une réflexion ?

Il faut se poser la fonction de l’organisation, de l’activité, et ce qui a été proposé à la création de son organisation, et qui n’a plus la même fonction. Soit accepter qu’il faut terminer ou que la chose va se terminer irrémédiablement, soit lancer des processus de réflexion pour réussir à identifier comment remplir la même fonction dans le contexte actuel. EHZ a eu la trajectoire de diversification de ces axes revendicatifs parce que la question culturelle s’est finalement assez bien démocratisée. Un événement qui disparaît du panorama est peut être le signe d’une victoire, car son but a été atteint. Les organisations politiques, sociales, culturelles se créent avec un objectif : c’est un outil en tant que capitalisation de ressources, de connaissances, de temps, de finances pour faire avancer des revendications. Mais cela reste un outil. Quand on a réussi à faire ce qu’il y avait à faire, que devient l’outil ?

Quand on est dans ce type de situation d’épuisement de la base militante ou que des soucis financiers apparaissent, c’est souvent les symptômes que l’organisation ne fonctionne plus, car la fonction est perdue depuis un certain temps. Certains se retrouvent à porter l’organisation à bout de bras. On est typiquement dans la situation où il n’y a qu’une minorité qui bataille, ce qui crée des tensions.

Il vaut donc mieux s’interroger dès qu’on voit ces symptômes arriver ?

Le fait de se dire qu’il faut faire un diagnostic est le signe que ça va mal. Au moment où on monte les groupes de diagnostics, c’est trop tard. L’idéal serait de constituer un groupe de diagnostic dès le départ, qui ferait un suivi régulier pour étudier, qui regarderait quelle est l’évolution de la société et déterminerait si l’outil est bien affûté pour agir sur ce contexte-là. En faisant un suivi de ce type-là, on peut très bien décider de dissoudre l’association. Il y en a plein qui le font et qui n’attendent pas la sclérose.

Au niveau de la transmission ?

Il y a beaucoup de gens qui se posent la question de la transmission, car il s’agit d’un enjeu central. Paradoxalement, la transmission des organisations politiques, culturelles, etc. est un sujet qu’on travaille très peu. Certains considèrent qu’il faut très fortement former les jeunes générations, il y en a d’autres qui pensent qu’il faut offrir les mêmes conditions de liberté aux nouvelles générations, que quand ils avaient créé la structure avec la difficulté que l’on ne part plus de rien puisque la structure est là. C’est compliqué et il n’y a pas de recette toute faite.