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Alain-Noël Dubart : “La position maçonnique n’a jamais été de dire ce qu’il faut faire”

L’ancien Grand Maître de la Grande Loge de France a offert une conférence à Biarritz, le 7 juin. Alain-Noël Dubart a répondu à l’invitation des loges de Saint-Jean-de-Luz, Biarritz et Bayonne qui comptent entre 120 et 130 membres. Il a également répondu à la question : “Devenir franc-maçon à la Grande Loge de France : pourquoi ? Comment ?”. MEDIABASK s’est entretenu avec lui avant son intervention dans une salle de la Halle d’Iraty bien garnie.

L'ancien Grand Maître Alain-Noël Dubart a présenté la démarche maçonnique aux sympatisants locaux. © Bob EDME
L'ancien Grand Maître Alain-Noël Dubart a présenté la démarche maçonnique aux sympatisants locaux. © Bob EDME

Pourquoi abordez-vous le thème de l’accès à la franc-maçonnerie ?

C’est une politique qui existe depuis une douzaine d’année. Avant, la Grande Loge de France était très renfermée sur elle-même, et puis, il y a eu quelques soucis dans les années 2000-2005. A savoir un certain nombre de scandales politico-financiers, essentiellement sur la Côte d’Azur. Nous nous sommes trouvés en porte-à-faux pour expliquer que ces frères ne représentaient pas la franc-maçonnerie. Nous avons réfléchi et avons pensé que le meilleur moyen était de présenter ce qu’on était.

Comment devient-on franc-maçon ?

Les modalités sont très variées et ont beaucoup changé depuis une vingtaine d’années. Avant, lorsqu’on entrait en franc-maçonnerie, c’était par ce qu’on appelle la cooptation. La seconde variété, c’est la modulation internet. Globalement, 75 à 80 % des recrutements se passent encore par la cooptation, mais chez les nouvelles générations, entre 40 et 45 ans, l’approche est différente.

L’information est accessible, pourtant, la franc-maçonnerie a encore aujourd’hui un côté secret. Pourquoi selon vous ?  

La franc-maçonnerie est une institution de la République. Ce sont des associations loi 1901, il n’y a rien de caché dans l’existence des loges et leurs représentants, sur ce qu’elles font. Ce qui est caché, c’est l’appartenance. L’appartenance personnelle n’est pas cachée, vous êtes libre de dire ou ne pas dire si vous êtes franc-maçon. Le secret de l’appartenance ne vaut que pour les autres, il ne vaut pas pour soi-même.

Beaucoup de francs-maçons vous dirons que le secret est important parce que pendant la Seconde guerre mondiale, il y a eu des persécutions. Il est important, me semble-t-il, surtout pour des hommes qui ont des positions en vue dans la cité, pour qu’ils ne soient pas exposés à la critique de tous ceux qui ne savent pas ce qu’est la franc-maçonnerie, et qui la lie aux affaires, aux relations politiques, ce qui existe partiellement, mais n’est pas au cœur de la démarche maçonnique. Le secret, c’est le secret des travaux qui sont faits en loge, non pas sur les thèmes qui sont traités, mais sur ce qu’il se dit, pour que tout le monde puisse parler librement quelle que soit son appartenance politique, religieuse ou sociale. Le but d’une loge, c’est d’exprimer complètement sa pensée et de confronter les opinions.

C’est un lieu de discussions ?

C’est d’abord un lieu de travail. Il y a différents degrés dans un cursus maçonnique, ils font référence au symbolisme des constructeurs : il y a les apprentis, les compagnons et les maîtres. Cela commence par l’apprentissage d’une nouvelle manière de s’exprimer, de discuter avec les gens. C’est un lieu de confrontation des idées et donc de formation personnelle, où chacun peut construire sa pensée.

Ces échanges ne servent-ils pas à définir un positionnement, une réflexion commune à tous ?

Toutes les obédiences ne fonctionnent pas exactement de la même manière, et le but n’est pas de terminer un sujet d’étude sur une position qui serait celle de tous les frères de la loge. L’objectif est qu’il y ait un échange le plus complet possible, pour que chacun se fasse sa propre opinion. Il peut arriver que des opinions communes se dégagent parce qu’au fil de la discussion, le consensus se fait. Mais ce n’est pas le but. C’est une démocratie qui n’impose pas un vote.

Certaines obédiences ont influencé des lois, comme la loi Veil. Il y a une certaine méfiance vis-à-vis de la franc-maçonnerie qui aurait une influence sur le pouvoir… Est-ce qu’on peut parler de travail de lobby ?

Le grand public pourrait le voir ainsi, mais ce n’est pas comme cela que les choses se passent. C’est un travail de discussions avec les pouvoirs publics sur un certain nombre de thèmes, indéniablement. Mais c’est un travail qui présente l’opinion globale, pas unanime, d’une obédience. Si l’on prend un cas concret, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il y a un présupposé philosophique : à qui appartient le corps ? Dans le domaine des religions, le corps appartient à Dieu. Dans les régimes totalitaires, le corps appartient à la société, à l’Etat. L’opinion des maçons, sauf cas particulier, est différente : le corps de la personne humaine appartient à la personne humaine. A partir de positionnements philosophiques, on peut commencer à discuter de la manière dont un problème qui touche à la personne humaine et à la vie va se poser. La position maçonnique n’a jamais été de dire ce qu’il faut faire, mais de donner une liberté supplémentaire. C’est la position du siècle des Lumières, celle de la raison et de l’autonomie du sujet.

Est-ce que récemment des lois ont été inspirées par les francs-maçons ?

Beaucoup moins, parce que, d’abord, beaucoup de réformes sociétales ont été faites. Puis, pas mal de réflexions sont en cours sur les lois de bioéthiques où, il faut bien le reconnaître, les obédiences ont du mal à se situer réellement du fait de la diversité des opinions… Sur la question de l’IVG, il y avait un consensus assez large dans les loges. Sur un sujet comme la fin de vie, c’est beaucoup plus délicat. Il y a des commissions d’éthique de certaines obédiences qui sont favorables à la loi Léonetti avec un certain nombre de réticences. Donner au corps médical — j’en suis — la possibilité de décider d’interrompre une vie, c’est quelque chose qui pose problème. Il ne s’agit pas de donner une liberté, pour certains d’entre nous, il s’agit de restreindre une liberté. Dans le cas de patients qui ont donné des instructions très précises, très fermes, la question ne se pose pas. Cette réflexion n’est pas aboutie collectivement. Il en va de même sur la procréation médicalement assistée.

L’attachement de la franc-maçonnerie aux valeurs de la République est connue. Quel regard porte-t-elle sur les langues "régionales" ?

Je n’ai pas le sentiment que les obédiences se soient beaucoup préoccupées de cette question, peut-être pour la raison que vous évoquez, c’est que les obédiences françaises se sont constituées dans le cadre d’un Etat extrêmement centralisé, en même temps que la République. La révolution des siècles des Lumières a abouti à la Révolution française, avec ses avancées et ses travers. Je pense que les choses évoluent un peu. Venant d’une région périphérique — je suis flamand d’origine —, je suis sensible à ces problèmes, mais c’est à titre personnel.

Ce qui fait évoluer les choses, à titre strictement personnel, c’est le problème corse. La manière dont sera traité le problème corse aura un effet sur le traitement des langues régionales. Ce sont des problèmes politiques qu’on ne traite jamais en loge. Je pense quand même que la langue de la République ne peut être que le français. Aussi, il me semble que les langues régionales doivent être enseignées dans les écoles. Ce n’est pas parce qu’on parle le basque qu’on va militer pour l’indépendance du Pays Basque.

La Nouvelle-Calédonie va consulter ses habitants sur l’indépendance le 4 novembre. Est-ce que la Grande Loge porte un regard sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

Oui, je pense que tous les francs-maçons ont ce regard-là. La situation est quand même différente en Nouvelle-Calédonie que dans les différentes régions françaises. Ces dernières sont agglomérées de par l’évolution du royaume de France. Il s’est constitué au fil du temps une unité politique indiscutable. C’est un peu différent dans des pays d’outre-mer où l’empreinte du colonialisme et de l’esclavage est "importante". Après, la position des obédiences n’est pas "pour ou contre" l’indépendance.

La position de la Grande Loge dans les événements qui ont eu lieu était de faire en sorte que des gens puissent se parler par l’intermédiaire des obédiences maçonniques. Ce qui a été le cas. Les différents acteurs qui faisaient la une de la presse à l’époque, tant du côté des indépendantistes que du côté du RPR, étaient francs-maçons. Ils avaient un raisonnement commun : tous les hommes sont respectables dans leur qualité d’être humain. C’est le cœur de la réflexion maçonnique, elle est centrée sur l’homme. L’homme en tant qu’homme, l’homme en tant que citoyen, l’homme en tant qu’humanité. Prendre partie pour un camps contre un autre camps, ce n’est pas une réflexion maçonnique.

La Grande Loge n’est pas mixte, pourquoi n’a-t-elle pas évolué ?

Toutes les sociétés initiatiques ont toujours été mono-genres. La Grande Loge lorsqu’elle se crée au 18ème siècle, par définition, elle n’est pas mixte. En 1892, une obédience mixte est créée, elle s’appelle Le Droit Humain, par Maria Deraismes, elle-même initiée par le Dr Georges Martin. Il existait au 18ème siècle des loges d’adoption pour les femmes, les sœurs, les compagnes, les amies de tout ce monde qui gravitait dans la franc-maçonnerie, avec des initiations de seconde zone. Elles disparurent à la Révolution française.

Au début du XXème siècle, au sein de la Grande Loge de France se créent des loges d’adoption, après le choc de la Seconde guerre mondiale, elles vont donner naissance à la Grande Loge féminine de France. Et là le paysage maçonnique est à peu près complet. Vous avez deux obédiences masculines, Grand Orient et Grande Loge, l’obédience Le Droit humain est mixte, et la Grande Loge féminine de France est purement féminine.

On pourrait se demander si les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans la franc-maçonnerie ?

Bien sûr que si, les hommes et les femmes sont égaux.

Alors pourquoi cette distinction ?

Il y a d’abord le poids de l’histoire. Et la démarche initiatique est une démarche personnelle particulière. Je pense qu’il faut laisser à chacun la liberté du choix de sa démarche, purement masculine, purement féminine ou mixte. Mais, bien entendu, tous les frères de la Grande Loge de France sont intimement convaincus que les femmes sont initiables de la même manière que les hommes. La vraie question est : est-ce que c’est ressenti de la même manière ? Il faudrait demander aux sœurs qui sont initiées dans une obédience exclusivement féminine, et à des frères et des sœurs qui sont initiés dans une obédience mixte. La question semble simple, mais je ne suis pas sûr que la réponse le soit.