Kattin CHILIBOLOST

Le championnat de bertsu ou la vitrine d’un quotidien à inventer

Le championnat de bertsu du Pays Basque bat son plein. Mobilisant un public bascophone de toutes les provinces, elle offre une scène à une pratique populaire exercée de longue date. Une pratique qui a su se réinventer, comme l’oblige son art, l’improvisation.

Depuis le 23 septembre, tous les samedi ou dimanche, le Jaï-Alaï d’une ville choisie se transforme en une salle de spectacle. Ou presque. Au milieu de la kantxa, une estrade y est montée. Sur celle-ci sont insatallés trois micros et six chaises. En fond, une prairie verte, à perte de vue, sous un ciel bleu. A quelques mètres de distance de la scène, des rangées de chaises occupent le reste de l’espace libre délimité par les portes d’entrées et les gradins.

Ce dimanche 26 novembre, ce sera le tour du Jaï-Alaï de Saint-Jean-de-Luz d’être habillée de la sorte. La salle sera habilitée pour accueillir le deuxième tour des demi-finales du championnat de bertsu.

Dimanche à Saint-Jean-de-Luz

Dès 17 heures, les 2 300 places répartis entre les gradins et les chaises risquentd’être toutes occupées. Par un public bascophone, toutes générations confondues, venu de différents coins du Pays Basque. Attentif à ce qui se passera sur scène, il restera silencieux, murmurera ou applaudira. Très régulièrement. Lors de l’entrée en scène des bertsulari, et à la fin de chaque bertsu. Dans l’intervalle, le silence s’impose. Un silence qui doit permettre la concentration des bertsulari.

Sur les chaises installées sur l’estrade du Jaï-Alaï de Saint-Jean-de-Luz, prendront place Agin Laburu Rezola, Julio Soto, Maialen Lujanbio, Iñaki Apalategi, Igor Elortza et Jone Ubiria Albizuri. Soit les six bertsulari sélectionnés lors des onze phases éliminatoires précédentes.

Trois heures durant, ils devront improviser des joutes de vers sur des sujets donnés par un donneur de thème. En cinq secondes, les bertsulari se mettront dans un rôle et dans un contexte imposé. Soignant les rimes, les mesures, la métrique définissant le bertsu.

Des places à la scène

Existante dans de nombreux pays, c’est parait-il au Pays Basque que cette discipline est restée la plus vivace. Pratiquée surtout dans les places de villages, à l’occasion de fêtes ou d’évènements particuliers, le bertsu est une composante importante de la culture basque.

Celui qui s’y frotte joue avec les mots, avec leur sens. Commente, critique ou ironise sur les sujets d’actualité, sociétaux ou polémiques. Se joue des représentations, alimente les réflexions, toujours en basque. L’association Bertsozaleen Elkartea défend le bertsu comme “un discours chanté, rimé et mesuré”. Où “la mélodie, la rime et la métrique sont de simples aspects techniques du bertsu”. La qualité du bertsu sera jugée pour la valeur dialectique, rhétorique ou poétique de la strophe élaborée.

Un art populaire que le championnat cultive. Et essaime. Organisé tous les quatre ans, son déroulement est pensé de façon à atteindre les Basques de toutes les provinces. Ainsi le championnat permet de toucher de nouveaux adeptes. Des bascophones qui n’ont pas forcément l’habitude ou l’opportunité d’aller assister à des sessions de bertsu populaires. “Certains ne suivent que le championnat. Ses phases éliminatoires sont organisées dans toutes les provinces basques. Il est accessible à tous. Médiatisé et commenté, il est facile à suivre. Comme un sport, le championnat permet de suivre les performances d’un bertsulari, de créer des favoris....”, commente Battitt Crouspeyre, lui-même bertsulari et journaliste. En effet, une ambiance de compétition est palpable lors du championnat. “C’est aussi ce que certains, peut-être, recherchent“, ajoute-t-il. Citant pour exemple les banderoles accrochées sur les murs derrière les gradins.

De pair avec le cadre, le rôle du bertsulari peut, lui aussi être différent lorsqu’il improvise “sur scène” ou au milieu d’un repas. Dans le sens où le contexte change. Lors du championnat, l’improvisateur répondra moins au lieu et à la polémique locale, et privilégiera l’appronfondissement de thèmes plus généraux. Pour la simple raison, entre autres, que le public est différent. Dans les villages, il appréciera l’interprétation d’une problématique locale. Lors d’un championnat, le public est certes bascophone, mais issu de lieux et de réalités différents. De même, lors d’un championnat, le ber-tsulari prendra soin de la forme, de la métrique de son vers, très surveillée lors du championnat et notée par le jury. Au bertsulari, donc, de faire doublement attention à la forme de sa joute, et de son “originalité”. Et d’innover. “Cette année, par exemple, plusieurs participants ont inventé de nouveaux airs”, remarque Battitt. Des airs qui seront repris, ou pas. La place le jugera.

Aucun bertsulari ne niera que la “véritable” scène de tout improvisateur, demeure “la place”, ou l’espace collectif, populaire. C’est là où il est présent chaque fin de semaine. C’est aussi ce qui assure, quelque part, son gagne-pain. Le championnat permet pour certains d’y être sollicités plus souvent. C’est le cas de Sustrai Colina, ou d’Odei Barroso, qui se sont révélés lors de championnats. “Avant d’avoir gagné le second Xilaba en 2010 (championnat organisé au niveau du Pays Basque Nord), je faisais six à dix sorties dans l’année”, rappelle Odei Barroso. Depuis, il en fait en moyenne 70 par an. “Et cela n’a pas changé”, ajoute-t-il. Ecarté lors des premières phases éliminatoires du championnat, Odei se montre serein quant à son futur proche en tant que bertsulari. “On nous appelle pour écouter nos bertsu, rire, pleurer ou s’amuser”, livre le bertsulari. Sustrai Colina, en lice pour la finale partage le même sentiment. “Les gens ne nous sollicitent pas pour le palmarès du championnat”. Il s’agit d’autres critères. Celui de la proximité souvent, des qualités, du style et de la personalité de chaque bertsulari que sait apprécier un public initié.

Une vitrine du quotidien

Plus qu’une dichotomie entre la “place” et la “scène”, Battitt défendrait sa dialectique, “le championnat est une vitrine de ces places”. Les thèmes donnés et les tournures d’angles pris par le bertsulari lors du championnat seront selon lui à l’image des sujets qui ont alimenté et bousculé les mœurs de ces quatre dernières années. “Bien qu’il y ait toujours moins de femmes que d’hommes présents sur scène, ont peut remarquer que le féminisme ou le traitement féministe des thèmes revient de façon régulière, pour ne pas dire transversale”, remarque-t-il. Et à Andoni Egaña, quadruple champion de bertsu, de répondre à nos confrères que les hommes se sont aussi appropriés ce changement. Et ce avant le championnat. “Nous serions vraiment des idiots autrement. [...]” Et de résumer qu’“il ne s’agit pas que de la scène”, après avoir cité les moments quotidiens en voiture ou lors de repas qu’ils partagent entre bertsulari.

L’entraînement ? Un mode de vie

A l’image des thèmes qui reviennent sur scène, la préparation des bertsulari semble reposer sur son quotidien. “Contrairement à un sportif, qui peut prédire à peu près le résultat de sa performance selon son entraînement, le bertsulari n’a pas de méthode précise pour s’y préparer. Il travaille avec ses méninges. Et on ne connaît pas le cerveau aussi bien que l’on connaît le corps”, explique Aritz Zerain, coordinateur de l’association Bertsozale Elkartea. Alors à chacun sa méthode : Odei Barroso avait pris soin de se préserver du stress en s’aérant la tête… Sustrai Colina, de son côté, cite un “mode de vie” plutôt que d’“un “entraînement” ponctuel et programmé. Ou la recherche d’une discipline pour un résultat qui jamais n’est garanti. “On peut travailler à réflechir, élaborer des façons d'appréhender certains sujets, essayer de placer une idée..., livre Sustrai, mais, souvent, l’opportunité de la placer ne se présente pas. Le thème donné ne s’y prétant pas, tout simplement. Tout l’art de l’improvisation.

Ainsi, de la place à la scène, le bertsulari ne changera pas d’habit, mais s’adaptera au masque qu’on lui attribuera. De même, dans un monde où prime l’image, où compte l’impact visuel, le strass et l’immédiateté, le bertsu n’a rien de cela. Pourtant il perdure. Il a su s’y adapter. Et sait se réinventer.

Un évènement de longue date

Depuis 1988, le championnat de Bertsu du Pays Basque est organisé tous les quatre ans par l'association Bertsozaleen Elkartea. Celui-ci avait pris le relais des associations Euskalzaleak et Eusko Gaztedi Elkartea, qui avaient lancé l'évènement en 1935 à Donosti, mettant en compétition vingt des meilleurs bertsulari des deux côtés de la frontière; pour répéter le challenge deux ans après avec 30 participants. Le championnat avait continué à rassembler de plus en plus de bertsolari jusqu'à l'arrivée du franquisme. La dictature étant, le championnat n'avait pu revoir le jour qu'en 1960. Euskalzaindia ayant pris la responsabilité de l'organiser. Cette année pour la première fois, le championnatest présent dans les sept provinces du Pays Basque. Une volonté de Bertsozaleen Elkartea, qiu a souhaité rendre l’évènement plus accessible. La première phase éliminatoire a eu lieue à Saint-Etienne-de-Baigorri, et la finale se déroulera le 17 décembre au BEC de Barakaldo, tout près de Bilbo.

La majorité des enfants bascophones a accès au bertsu

Cela ne fait pas de doute. Parallèlement au championnat, et à l'engouement que ce dernier suscite, l'attachement au bertsu est dû en grande partie au travail de fourmis mené par l'association Bertsularien Lagunak. Créée en 1980, l'association a fait le pari de redynamiser le bertsu en Labourd, Basse-Navarre et Soule notamment à travers son enseignement.

Ainsi, si la première “bertsu eskola”, ou “école de bertsu“ du Pays Basque avait vu le jour en 1974, avec 125 élèves à Aretxabaleta (Gipuzkoa), au Pays Basque Nord, elle ne naît qu’en 2010 avec 47 élèves, soit trente-six ans après. Aujourd'hui, l'association compte 32 écoles de bertsu et 295 licenciés. Ces écoles sont présentes dans 22 communes du Pays Basque Nord.

Des stages dans l’immersif et le bilingue

Parallèlement aux “bertsu eskola“, les membres de l'association animent des stages d'initiation dans les Ikastola et dans les écoles bilingues. Cette année par exemple, 900 adolescents des classes de 3è, 5è et 4è de Seaska ont eu accès à des stages réguliers autour du Bertsu. Il en va de même dans certaines écoles publiques où des moments d’initiation au bertsu sont proposés. Cette année, 700 élèves de l'école publique ont pu ainsi gouter au bertsu.

Mille façon de faire vivre le bertsu

Les six salariés de l’association réfléchissent à présent au fait de fidéliser tous ces initiés. Comme bertsulari ou organisateurs de rendez-vous autour du bertsu ou donneurs de thème, il y a mille formes pour continuer de faire vivre le bertsu.