Justine Giraudel

L’État espagnol s'empare du dossier d'Altsasu

Le 15 octobre à Altsasu, une bagarre entre habitants et Garde Civile agitait la Navarre et l’État espagnol. L'Audience nationale vient de s'emparer du dossier, sous couvert de possible "délit de terrorisme". Mais l'affaire fait débat et les sources se contredisent.

Samedi 22 octobre, 2.000 manifestants dénonçaient "un montage policier" à Altsasu. © Jaizki FONTANEDA / ARGAZKI PRESS
Samedi 22 octobre, 2.000 manifestants dénonçaient "un montage policier" à Altsasu. © Jaizki FONTANEDA / ARGAZKI PRESS

Mardi 25 octobre, dix jours après une bagarre nocturne à Altsasu qui opposait des habitants à la Garde civile, le procureur de l'Audience nationale considérait l'affaire comme relevant d'une question de "terrorisme". Ce matin, la juge Carmen Lamela a abondé dans son sens et a délesté le gouvernement navarrais de l'enquête pour la remettre entre les mains de l'Audience nationale. En contradiction avec un rapport envoyé par la Garde Civile à la juge d'instruction du tribunal d'Iruñea faisant état d'"indices" d'un possible "délit de haine". Dans la matinée, six jeunes se sont rendus au même tribunal pour faire une déclaration, après que leur nom soit apparu dans le rapport. Mais en l'absence de la juge navarraise, ils n'ont pu mener à bien leur démarche.

A Madrid, Carmen Lamela requiert une série de mesures : un rapport "urgent" de la Garde Civile – avec l'aide de la police forale – sur "la campagne d'intimidation dont sont victimes ses agents en Navarre et plus particulièrement à Altsasu". Elle demande aussi l'identification des "responsables" du compte twitter @AltsasukoGA, ainsi que celle des personnes ayant publiquement pris la parole et apparaissant sur les photographies du rassemblement et de la manifestation du samedi 22 octobre, au cours de laquelle 2.000 habitants dénonçaient "un nouveau montage policier et médiatique".

Le récit et les sources se contredisent

L'affaire fait grand bruit, et pour cause. Dans une première version véhiculée par la Garde Civile était évoqué le "lynchage" de deux de ses agents et de leurs compagnes par une cinquantaine voir une soixantaine de jeunes. Un fait pourtant contredit par la déclaration d'une des deux jeunes femmes devant la police forale – elle fera machine arrière par le suite - sept heures après l'altercation, alors que les quatre personnes agressées se trouvaient à l'hôpital.

Elle y racontait un affrontement intervenu sur les coups de trois heures du matin, à l'extérieur du bar, auxquels auraient participé six personnes. Un chiffre bien en deça des 60 signalées par cette même jeune femme au cours d'une interview radiophonique - interview sur laquelle s'est appuyée l'association Covite pour dénoncer le "délit de terrorisme" auprès de l'Audience nationale.

La jeune femmes ajoutait avoir mordu l'un des agresseurs d'une trentaine d'année au bras – un âge bien plus élevé que celui des deux jeunes hommes arrêtés le lendemain de la bagarre. Le journal Gara précise que les trois amis de la jeune femmes auraient au même moment refusé d'effectuer leurs déclarations devant la police forale, expliquant que leurs supérieurs le leur avaient interdit. Elles ont donc été faites devant leurs collègues de la Garde Civile. Et ont vraisemblablement servi de base à la version du "lynchage".

Une vallée sous tension

Depuis de nombreuses années une grande part de la population de la vallée de Sakana est en lutte contre la présence de la Garde Civile, dénonçant arrestations et contrôles à répétitions notamment chez les jeunes. C'est le cas de Alde Hemendik, qui prône entre autres le renvoi des forces militaires. En 2001, un projet de consultation populaire sur la pertinence de leur présence était avorté. Portée la plateforme Utzi Bakean Sakana (laissez la vallée de de Sakana en paix), elle devait avoir lieu dans les commune de Etxarri Aranatz, Ziordia et Urdiain.

La récente affaire d'Altsasu et son ampleur actuelle reflètent clairement ces tensions politiques. Le 17 octobre dernier, le conseil municipal de la commune adoptait une déclaration dénonçant les faits de violence. Parmi les six points approuvés par Geroa Bai, le PSN et Goazen-Altsasu "l'inquiétude et le mal-être induits par la présence massive" de la Garde Civile dans la commune. Peu après, la direction du PSN désavouait la déclaration signée par les conseillers de sa formation, en apportant son soutien inconditionnel aux forces militaires.

Sortu dénonce la fabrication "d'un cirque politique"

Dans un communiqué de presse diffusé ce mercredi, Sortu a dénoncé la "fabrication d'un cirque politique". La formation indépendantiste estime qu'en "utilisant l'excuse d'une bagarre dans un bar", une "grossière tentative de criminalisation de tout un peuple" a été mise en place pour "laver l'image répressive de la Garde Civile".

Une façon pour les pouvoirs "politiques, judiciaires et médiatiques" d'imposer à nouveau "leur récit du conflit politique en Pays Basque, le récit des victimes et des bourreaux, et à terme celui des vainqueurs et des vaincus" poursuit le communiqué. Avant de rappeler les séquestrations et tortures imputées aux forces militaires, "en toute impunité". Et des agents qui "des décennies durant [ont] menacé et effrayé des milliers de citoyens" au cours d'opérations de contrôle.