Propos recueillis par Bénédicte Saint-André
Interview
Benoit Lesbordes
Ostéopathe

"Mon objectif est de donner à l'athlète une totale confiance en son corps et en ses capacités"

Benoit Lesbordes est ostéopathe. Il partage son temps et son énergie entre deux cabinets l'un à Biarritz, l'autre à Espelette. En juin, il accompagnait l'équipe néo-zélandaise de kayak dans son dernier stage de préparation pour les Jeux de Rio. Une de ses membres, Luuka Jones, a été médaillée d'argent derrière la basque Maialen Chourraut. Une belle aventure humaine qui ouvre des perspectives pour l'avenir.

Benoit Lesbordes, en pleine séance, à Rio. © DR
Benoit Lesbordes, en pleine séance, à Rio. © DR

Comment a démarré l’aventure ?

Benoit Lesbordes : Vendredi 17 juin, 18 heures. Les phases finales de la Coupe du monde de canoë-kayak vont commencer à Pau. Je suis ostéopathe pour l'ensemble des délégations étrangères. Après une séance avec Mike Dawson, ce dernier me lance "Avec Luuka, on part à Rio la semaine prochaine, est-ce-que tu veux venir avec nous ? ".

On parle là de deux figures du sport incontournables dans leur pays. Luuka Jones, jeune femme déterminée de 27 ans avec déjà trois Olympiades à son actif et Mike Dawson un jeune homme excentrique et très attachant de 29 ans avec une seconde participation aux JO. Tous deux étaient six fois champions nationaux de kayak en Nouvelle-Zélande. J’accepte avec joie, sans même une seconde d'hésitation.

Débute alors ma première traversée de l'Atlantique. Dix heures de vol et 9 000 kilomètres plus tard, je suis à Rio pour peaufiner leur préparation, dans le stade où se sont déroulées les épreuves de canoë-kayak. Une phase essentielle et le début d’une incroyable aventure. Préparer ces sportifs est un honneur. Avant eux, j’avais également eu la chance de travailler avec des athlètes français dont Edern Le Ruyet et Pierre-Antoine Tillard en canoë (vainqueurs de Coupe du monde et remplaçant olympique pour ce dernier) et Marie-Zélia Lafont en kayak (Equipe de France de Kayak à Rio) membre de la team Kayakinpy.

Scandale de dopage, corruption, les Jeux sont éminemment critiqués et à juste titre. Néanmoins, pour de nombreux sportifs, ils demeurent le Graal. Que représentent-ils pour toi ?

B.L : J'entends évidemment les critiques et elles sont légitimes. Mais en effet quel sportif n’a jamais rêvé de participer à un événement majeur comme les JO ? C'est une aventure unique dans une vie. Ces quinze jours vont faire rêver des milliards de personnes et comparativement très peu de personnes y participent. Je trouve cette ambivalence très excitante !

Et quoi qu'on en dise ils incarnent, à travers les sportifs que j'accompagne, le respect et l’amitié, les valeurs du sport portées au plus haut niveau. Le juste équilibre entre les qualités du corps, de l’esprit et de la volonté. Autant de points qu’il faut mettre en application tous les jours en ostéopathie mais qui prennent là une toute autre dimension.

Et le kayak ?

B.L : C'est une discipline aquatique alors forcément pour un biarrot qui a baigné dans l’océan et le surf dès son plus jeune âge, ça me parle. L’eau est un excellent milieu pour faire du sport, on est dans la nature, il faut toujours garder en tête que l’on n’est pas plus fort qu’elle mais qu’on doit jouer avec. Ne pas privilégier la force brute mais allier puissance et technicité.

On revient sur des principes ostéopathiques importants : ne pas utiliser la force mais laisser le corps du patient nous guider. L’essentiel est d’être à l’écoute des mouvements de l’eau pour le sportif ou du corps pour l’ostéopathe.

Selon toi, l'ostéopathie devrait être partie intégrante du sport de haut niveau. Pourquoi ?

B.L : Le sport de haut niveau est extrêmement exigeant, pour le corps de l’athlète mais aussi pour l’esprit. On sait tous que pour être performant, il ne faut pas uniquement être en excellente forme physique mais au-delà il est primordial de se sentir bien dans son corps.

Et le haut niveau c'est aussi la recherche du détail. Comme la mécanique de précision, il exige un travail minutieux et suivi. C’est sur tout cela que j'interviens, donc soit en préventif soit pour soulager ponctuellement l’athlète.

Le travail en préventif permet d'optimiser les entraînements et la phase de récupération. Un corps libéré de tension est un corps plus à même de digérer les longues sessions de préparation nécessaires, tout en permettant de diminuer le risque de blessure. Malheureusement, un trop grand nombre de sportifs consultent dans l’urgence, ils veulent être soulagés immédiatement parce qu’une échéance arrive très vite. Dans certains cas, la prise en charge est efficace mais souvent c’est prendre le problème à l’envers. De toute évidence, ça ne se règle pas en une fois et surtout quand la blessure est déjà présente.

Mon objectif est que l'athlète ait une totale confiance en son corps et en ses capacités. Comme le disait Juvénal "Mens sana in corpore sano" soit "Un esprit sain dans un corps sain" et aux JO, c’est probablement ce qui fait la différence.

Comment as-tu vécu Rio, ville de tous les contrastes ? 

B.L : Rio c’est 50 fois Biarritz en superficie ou 10 fois Paris, 6 millions d’habitants intra-muros. C’est immense ! Même quand on prend de la hauteur, sur les nombreuses montagnes environnantes on n’en voit pas la fin. Il fallait environ une heure pour aller s’entraîner depuis l’hôtel jusqu’au stade olympique, dont plus de la moitié au travers des favelas. C’était une expérience unique de pouvoir aller dans ce stade pendant les préparatifs, voir l’envers du décor. Et je dois le dire, tout n'était pas encore prêt.

Ce qui frappe également, ce sont les favelas qui s’accrochent sur la moindre colline, même collées aux beaux quartiers. Qui dit favelas dit vendeurs à la sauvette au beau milieu de l’autoroute, et évidemment une extrême pauvreté qui saute aux yeux et qui ne peut laisser indiffèrent. Enfin, c’est la pollution que l’on remarque, une sorte de nuage gris entre nous et le ciel bleu, ça interpelle clairement…

Mais attention à ne pas tomber dans la caricature. Rio n’est pas la "Ciudad Maravillosa" pour rien, Rio est magnifique, c’est une ville à la mesure de l’événement. Elle sait aussi être belle, propre, accueillante quand elle veut ! En fait, et comme c'est souvent dit, Rio c’est tout et son contraire ! Et c'est aussi et surtout ses habitants. Les Cariocas représentent la mixité à l’état pur associée à la joie de vivre. Ils sont ravis de rencontrer des étrangers. Souvent pas très riches mais toujours prêts à rendre service, à partager tout ce qu’ils ont. Que ça fait plaisir de voir ces sourires même dans le métro bondé !

Donc, sans angélisme, je n'hésite pas à parler de magie.

Tu n'étais plus sur place durant leurs épreuves. Dans quel état d’esprit les as-tu regardées ?

B.L : Motivé, stressé, enthousiaste. Et surtout plus impliqué que jamais étant donné que j’ai eu la chance de participer à leurs entraînements, de voir les difficultés qu’ils rencontraient. C’est donc normal de vivre ces moments plus intensément que d’habitude, même en étant loin.

J'étais plus qu'impatient de voir si le travail réalisé allait payer, mais aussi confiant parce que je connaissais leur état d’esprit et le chemin parcouru.

Quel bonheur donc la médaille d’argent de Luuka en kayak dame ! Quant à Mike, même s'il passe à côté de sa finale, il nous a offert une demi-finale extraordinaire. Après, il ne parlait même pas de sa déception et ne cessait de mettre en avant la médaille de Luuka, de se réjouir pour elle.

C'est tout de même cruel de ne pas avoir pu partager ces moments avec eux…

B.L : Oh que oui… Mais les accréditations doivent se prendre six mois à l'avance. C'est le jeu ça aussi ! Toujours est-il que je les connais depuis plus d’un an maintenant -on avait travaillé ensemble à la Coupe du monde de canoë-kayak de Pau en 2015, puis à nouveau en 2016-  et après ces 15 jours passés ensemble, ce qui nous lie est forcément très fort. Ils sont vraiment devenus des amis.

J’aurais évidemment aimé fêter la médaille, boucler la boucle en quelque sorte mais ça restera malgré tout un souvenir impérissable. Et on se rattrapera en septembre à Prague lors de la prochaine Coupe du monde !