Bénédicte Saint-André

Journalisme : des raisons d'espérer

Une information formatée, panurgique et immédiate. Face à elle, des initiatives, des irréductibles, des insoumis.

L'interface Toolbox a nécessité deux ans de travail à travers l'Europe © Isabelle Miquelestorena
L'interface Toolbox a nécessité deux ans de travail à travers l'Europe © Isabelle Miquelestorena

Ne nous mentons pas, le journalisme est en fâcheuse posture, en pleine mutation si l'on aime les euphémismes. Mais alors qu'on aurait largement de quoi se draper dans un cynisme confortable, cette fin de semaine fut plutôt du genre revigorant.

Vendredi, Mikel Etxebarria de Radio Kultura accompagné de seize journalistes européens présentait Toolbox, une interface multilingue destinée aux journalistes mais également aux citoyens, abreuvés d'informations. "La compréhension des médias est essentielle dans notre société. Elle contribue à l'instruction. C'est pourquoi nous proposons des clés de lecture", explique-t-il.

Décrypter l'info mais également inciter les journalistes à sortir des sentiers battus. Ne pas céder à la prédilection de l'époque pour le sensationnel, la formule, l'aphorisme. "Sur le nombre de sujets concernant les migrants, combien leur ont donné la parole ? ", interroge M.Etxeberria. Ainsi, Toolbox invite à s'extraire de l'expertophilie, à décaler les angles, et à rendre visible ce qui ne l'est pas toujours : sport féminin, banlieues… ou finance internationale par exemple.

Denis Robert, l'investigation et l'hommage

Clearstream, souvenez-vous le scandale qui ouvrit la voie à LuxLeaks ou autre Panama Papers. Grâce à Eklektika(1) et Black&Basque, Denis Robert était au Pays Basque ce week-end. Il a rappelé les 63 procédures que lui ont valu l'affaire, durant dix ans. Les 186 000 euros réunis par des anonymes (certains chômeurs mais aucun PDG de multinationale) pour assurer sa défense.  Et les trois arrêts de la Cour de cassation qui ont fini par l'innocenter (les suspects ne sont pas toujours ceux que l'on croit) et font jurisprudence pour les suivants. 

Il a également rendu hommage à une figure totémique, plume cinglante et jubilatoire, celle de Cavanna, fondateur avec Choron d'Hara Kiri et Charlie Hebdo(2). Et quand il raconte comment les gendarmes ont écouté par erreur son homonyme, un Denis Robert vendeur brico-jardin, en cherchant coûte que coûte à déceler un langage codé entre tondeuse et gazon, c'est évidemment à Cavanna que l'on pense. A ce qu'il aurait écrit d'assez bête et méchant pour leur rendre hommage.

"L'époque étant ce qu'elle est, ces journaux fougueux qui sentaient le foutre, l'alcool, la sueur et la liberté sont devenus des marques", écrit Denis Robert. Jean-Yves Viollier (3), ancien du Canard, a lui aussi rappelé avec justesse tout ce qui pêche aujourd'hui. Les groupes de presse tenus par des industriels, le poids des annonceurs, l'absence d'un modèle économique viable sur le web, la précarisation du métier et in fine une presse assistée, dépendante ou aux abois. Et pourtant, il est des raisons d'espérer, a-t-il lancé, en se tournant vers Denis Robert. Les gens qui le suivent toujours plus nombreux l'ont bien compris.

(1) Détails du week-end sur Eklektika

(2) Denis Robert lui a consacré un documentaire Cavanna, jusqu'à l'ultime seconde, j'écrirai et revient sur l'histoire de Charlie Hebdo dans le livre Mohicans

(3) Jean-Yves Viollier tient le blog satirique Bisque Bisque Basque