I.A.
Interview
David Pla
Membre de la délégation d’ETA pour le processus de résolution

“L’accumulation des forces en faveur de la souveraineté reste à développer”

David Pla. © Gaizka IROZ
David Pla. © Gaizka IROZ

Une des conséquences de l’initiative d’ETA fut le rassemblement des forces qui soutiennent la souveraineté...

Oui, et nous avons particulièrement avancé dans le domaine politique grâce à l’union de forces politiques aux trajectoires différentes sous les bannières d’EH Bildu et d’EH Bai. Ils ont de plus obtenu un large soutien. Cependant, l’accumulation des forces en faveur de la souveraineté reste à développer en l’étendant au domaine social et syndical. Nous avons su créer un contexte favorable mais maintenant nous devons atteindre nos objectifs.

La gauche abertzale vient d’entamer un nouveau processus de réflexion. Quel est votre point de vu ?

Il est vital. Avec [la motion, ndlr.] “Zutik Euskal Herria”, nous avons construit les fondations du nouveau cycle politique. Nous avons réalisé le virage stratégique nécessaire pour poursuivre le processus de libération et avec ce changement de stratégie nous avons créé un nouveau contexte politique. Nous avons pu ainsi chambouler la situation politique. Cependant, il est notoire que la ferveur des premiers instants s’est progressivement estompée, et le constat des difficultés que nous éprouvons pour déployer dans son intégralité le nouveau cycle politique s’impose. Notons au passage qu’au fil du temps un sentiment de résignation et de perte de repère s’est installé.

Ainsi, nous pouvons penser qu’il devient urgent de faire un bilan du chemin parcouru : jusqu’à quel point avons-nous intériorisé et développé la nouvelle stratégie, qu’avons-nous vraiment réussi et où avons-nous échoué, quels sont les obstacles que nous avons rencontrés et les nouvelles opportunités qui se sont présentées, quel a été le ressenti de la base social de la gauche indépendantiste face à tous ces changements ?...

Nous sommes tous conscients de la nécessité de cette réflexion, de cette réactualisation - car nous pouvons supposer qu’il s’agit surtout de corriger les erreurs commises. Je pense que ce qui importe dans ce débat est de fixer l’orientation stratégique. En fait, nous avions caractérisé la nouvelle phase politique comme celle qui aurait dû nous permettre d’obtenir le droit de décider -le droit à l’autodétermination-. Cependant, nous devrions nous demander si la réalité ne nous dit pas que l’heure est venue de passer à la phase politique de construction de l’Etat basque. Nous devons nous demander si, en fin de compte, dans la situation actuelle les revendications tactiques et le but stratégique du processus ne sont pas intrinsèquement liés, comme cela a été le cas en Catalogne. La nouvelle phase de “Zutik Euskal Herria” devrait consister à élaborer la stratégie politique qui nous permettra d’avancer dans cette direction. Et pour ce faire, il me semble qu’il est indispensable de se réapproprier l’esprit du mouvement de libération, de le renouveler en quelque sorte.

Vous nous avez parlé de la portée stratégique du processus. Quels sont, à votre avis, les éléments clefs pour atteindre l’indépendance ?

Le premier est sans aucun doute celui d’intérioriser que nous allons franchir le pas, celui de l’ouverture d’un second front indépendantiste. Et nous devrons faire usage de toute notre énergie et de notre capacité d’invention pour aller de l’avant. Ensuite, nous devons réaliser une offre politique attractive pour obtenir ainsi le soutien du spectre social le plus large possible. Il devra s’agir d’un processus populaire, ouvert à tous les individus, aux acteurs sociaux et capable d’unir les bases sociales des partis. Une large alliance. Un processus démocratique et rénovateur, à même d’aller au-delà de la revendication identitaire et de représenter ainsi tous ceux qui souhaitent la transformation sociale. Nous devons conquérir de nouveaux espaces. Nous devons prendre des décisions et les réaliser. La désobéissance doit être le moyen de lutte par excellence.

Quel regard portez-vous sur la naissance du collectif ATA [Amnistia Ta Askatasuna, amnistie et liberté, en basque, ndlr.] ? Pensez-vous qu’il s’agit d’un mouvement qui vient combler certaines lacunes, notamment sur la revendication de l’amnistie, ou un mouvement qui remet en question la stratégie de la gauche abertzale ?

ETA a déjà étudié la question et a pu réunir des informations qui confirment que ATA a été fondé par certaines personnes pour remettre en question la stratégie de la gauche abertzale, en guise de premier pas vers la division de la gauche abertzale. Et ces derniers mois nous avons eu des informations sur des agissements qui ressemblent à ceux qui viennent d’être dénoncés lors du procès à Paris [le 2 décembre dans le cadre de l’affaire Nérin, ndlr.]. Maintenant, ATA insinue qu’il s’agit d’une opération de manipulation. Il reconnaît cependant avoir anticipé la possibilité d’une scission du Collectif des Prisonniers Politiques Basques [EPPK, ndlr.], et être disposé à soutenir cette éventualité. Et c’est de cette manière qu’ils se sont adressés à certains prisonniers : ils proposent un pansement pour une blessure qu’ils ont eux-mêmes provoquée.

Il est évident que la plupart des membres d’ATA ou des personnes qui l’ont soutenu ne partagent pas ces agissements, et qu’ils se sont approchés de ce mouvement pour d’autres raisons. C’est pour cela qu’il est important de bien cerner le débat. La gauche abertzale a de nombreuses lacunes, notamment sur la question épineuse de la libération des prisonniers. Cela crée des tensions au sein de la gauche abertzale, mais ATA n’est pas la solution. La question ne réside pas sur le fait qu’il faille ou pas revendiquer l’amnistie. En effet, la gauche abertzale n’a pas laissé cette question de côté, ni en tant que revendication politique, ni en tant que formulation juridique. Cependant, le rapatriement des prisonniers et réfugiés politiques demeure la priorité. Et pour cela, il faut rechercher des accords et obtenir la plus large accumulation de forces.

Vous êtes retourné en prison. Quelles sont vos impressions après ces premiers mois d’incarcération ?

Cela fait deux mois et demi que j’y suis, et à vrai dire, les préoccupations liées aux responsabilités et aux tâches que j’avais auparavant ont pris le dessus sur la vie carcérale. Je ne peux donc tirer aucune conclusion. Sinon, je n’ai ressenti aucun changement, ni dans les conditions carcérales, et encore moins dans le soutien des prisonniers basques, soutien que je voudrais souligner. D’une part, même si la situation politique a radicalement changé, la situation des prisonniers politiques basques n’a pas évolué : pris en otage dans les prisons, dispersés et avec des droits fondamentaux bafoués au quotidien. Et en même temps, le fait de participer à un projet politique et collectif nous permet d’affronter l’univers carcéral.

Comment devrons-nous résoudre la question des prisonniers et réfugiés politiques ?

Sur ce sujet je préfère laisser la parole aux représentants du Collectif des Prisonniers Politiques Basques et du Collectif des Réfugiés Politiques Basques. Ils ont la crédibilité et la responsabilité pour s’exprimer sur ce sujet. Ils ne sont subordonnés à personne.