Alain KRAUSZ

Transition énergétique

Le réchauffement climatique dépasse le seuil critique. Mais Jean Jouzel et Pierre Larrouturou ont peut-être une solution.

Pour l'économiste Pierre Larrouturou, “ne rien faire risque de coûter encore plus cher”. © Alain KRAUSZ
Pour l'économiste Pierre Larrouturou, “ne rien faire risque de coûter encore plus cher”. © Alain KRAUSZ

Pas besoin de faire de catastrophisme, la situation est catastrophique”. C’est en citant Jean Jouzel que Txtetx Etcheverry faisait patienter une grande salle de la Bourse du Travail comble, ce 8 novembre à Bayonne, alors que les invités de la fondation Manu Robles-Arangiz et du collectif altermondialiste Bizi accusaient un léger retard. Le climatologue Jean Jouzel et l’économiste Pierre Larrouturou sont les auteurs d’un essai (voir encadré) qui décrit un véritable “plan Marshall” : mille milliards d’euros pour le climat ! Mais où les trouver ? Qu’en faire réellement ? Comment ?

C’est le climatologue qui entre le premier dans le vif de la conférence, calée sur le plan du livre afin d’en résumer les principaux éléments clés. Le réchauffement climatique est déjà là. Ce n’est pas une surprise : nous faisons tout pour cela. Et nous savons très bien d’où viennent les gaz à effets de serre. Le dernier rapport du Giec est formel, l’essentiel du réchauffement climatique est lié, via différents mécanismes (gaz à effets de serre mais aussi dans une moindre mesure apport thermique direct, ou encore la pollution) aux activités humaines. L’effet de serre d’origine volcanique ne représente qu’un dixième du tout.

Des raisons d’être pessimiste

Dans un contexte mondial où le président Donald Trump projette de retirer les États-Unis de tout ou partie des engagements vertueux de l’accord de Paris pour le climat signé lors de la COP21 par près de deux-cents pays, Jean Jouzel est ouvertement pessimiste. “Si rien n’est fait, nous aurons 4 à 5 degrés de réchauffement avant la fin du siècle, tout en laissant un climat non stabilisé par la suite, et la température pourrait très vite continuer à augmenter.”

Les conséquences à l’échelle de la planète seraient catastrophiques. Et le scientifique d’égrener pèle-mêle les risques pour la biodiversité, quand la moitié de la faune et de la flore est – déjà – incapable de suivre le déplacement des zones climatiques, pour la stabilité géopolitique, quand sécheresse et absence de sécurité alimentaire nourrissent les conflits autour de la ressource en eau, et poussent pour l’une ou l’autre de ces raisons les habitants sur la route des réfugiés climatiques. “D’ici soixante ans, un milliard de personnes ne pourront plus vivre sur la terre où ils sont nés”, complétera plus tard Pierre Larrouturou. “L’Europe a déjà du mal à accueillir deux millions de réfugiés, qu’en sera-t-il quand ils seront deux-cents millions à nos frontières ?” On peut ajouter à ces réfugiés climatiques ceux qui seront obligés de quitter leur terre à cause de la montée du niveau des océans. Cette montée tient à la fois à la fonte des glaciers et à la dilatation thermique. Et les premières migrations pour ce motif ont déjà commencé. Si l’on ne fait rien, une élévation d’un à deux mètres d’ici la fin du siècle est inévitable. Mais si c’est tout un territoire de la taille du Groenland qui voit ses glaciers fondre, la montée du niveau atteindra sept mètres !

L’Europe et la France ne sont pas à l’abri. On a vu la date des vendanges s’avancer de trois semaines en cinquante ans. L’enneigement baisse de cinq à dix jours par décennie. Et si les canicules risquent d’atteindre des valeurs plus élevées de 6 à 8 degrés d’ici la fin du siècle, la température record pourra atteindre 55° C dans l’est de la France. L’agriculture sera durement touchée, particulièrement sur le pourtour méditerranéen qui subira une baisse de 50 % de ses précipitations. Avec une évaporation bien supérieure. Les risques de feux de forêts deviendront donc critiques et la zone concernée élargie.

Sortir de l’énergie fossile

Ce scénario catastrophe est évitable si l’on peut maintenir le réchauffement à moins de 2° C d’ici la fin du siècle. On sait très précisément quoi faire pour réussir cet enjeu, comme sortir totalement de l’énergie fossile et la remplacer par les renouvelables, mais comment le financer ? Et qui plus est, à une échelle suffisante pour que les résultats soient notables à celle de la planète ? L’économiste Pierre Larrouturou répond tout d’abord que ne rien faire risque de coûter plus cher encore. Le nombre d’événements climatiques extraordinaires qui ont eu un coût humain ou matériel a quadruplé dans les trente dernières années. Les réassureurs, qui permettent aux compagnies d’assurance de collectiviser leurs risques exceptionnels, sonnent l’alarme !

Par ailleurs, investir massivement dans la transition énergétique permettrait de créer un très grand nombre d’emplois. Citant l’étude de Bizi ! qui promettait dix mille emplois en Iparralde dans la transition énergétique si la volonté politique suivait, Pierre Larrouturou annonce la très récente publication par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) qui affirme que neuf cent mille emplois pourraient être créés sur le territoire français.

Quant au financement nécessaire, l’économiste pointe les 2 500 milliards d’euros “fabriqués” et prêtés à taux nul ou négatif – le “quantitative easing” – par la Banque centrale européenne (BCE) en deux ans et demi afin d’inciter les banques privées à massivement investir dans l’économie réelle afin de la stimuler.

Or, seulement 11 % de cette somme a alimenté l’économie réelle. Le reste est intégralement parti dans la spéculation financière, entraînant de surcroît un risque d’explosion de bulle spéculative que même le Fonds monétaire international (FMI) dénonce dans un rapport. Environ 1 000 milliards d’euros par an pour toute l’Union européenne, c’est justement ce qu’il faudrait pour mettre en place la transition selon la Cour des comptes européenne.

L’Union européenne a entamé, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron et Angela Merkel, une réflexion sur l’architecture de la nouvelle Europe. Pour Pierre Larrouturou, il y a là une fenêtre de tir pour proposer dès la fin de 2018, via une pétition européenne, un traité qui pourrait être ainsi mis à référendum citoyen à l’échelle de l’Union.

Ce traité proposera de flécher les financements de la BCE intégralement vers la transition. Par ailleurs, il proposera aussi un impôt européen sur les bénéfices non réinvestis de 5 % , ce qui permettra de dégager entre 100 et 150 milliards d’euros pour aider, autant que possible sous forme de dons, la transition des pays du sud.

En bref

Sorti le 29 novembre, l’ouvrage co-écrit par le climatologue et l’économiste opère une revue de détail sur les causes et les conséquences du réchauffement climatique tant à l’échelle mondiale que locale, mais il propose aussi des solutions, des nouveaux métiers, une économie renouvelée et vertueuse, collaborative et basée sur les initiatives locales.

Il décrit aussi le gâchis massif d’argent offert aux banques privées et utilisé à spéculer et propose une initiative citoyenne européenne afin de réserver cette manne à la transition énergétique. Cet ouvrage est destiné à enrichir la réflexion de la population et d’ouvrir le débat public qui se tiendra tout au long de la promotion du projet, accompagné par les conférences des auteurs.

— “Pour éviter le chaos climatique et financier – Une solution scandaleusement simple” de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, aux éditions Odile Jacob, 22 euros.