Caroline MALCZUK

Les femmes noires sont les expertes de leur propre vie

Trois questions à… Amandine Gay, réalisatrice du documentaire "Ouvrir la voix", une grande conversation entre vingt-quatre femmes noires de France et de Belgique. Un ciné-débat est organisé ce vendredi 20 octobre au Sélect, à 20 h 30, par l'association Les Simones du Boudoir.

Dans son documentaire, Amandine Gay veut redonner la parole aux femmes noires de France et de Belgique. ©Enricco Bartolucci
Dans son documentaire, Amandine Gay veut redonner la parole aux femmes noires de France et de Belgique. ©Enricco Bartolucci

Dans quelle mesure la voix de ces femmes noires n’est pas assez écoutée, entendue ?

Amandine Gay : C'est surtout rarement elles qui sont en charge de la narration. Je pense qu’à ce jour, c’est le premier film sur les femmes noires en France réalisé par une femme noire. Ce que j’explique souvent, c'est qu’on est une communauté qui est parlée, racontée de l’extérieur mais qui a très peu l’occasion de se définir par elle-même. Ce qui m’intéressait c’était, pour une fois, de montrer des femmes noires telles que je les connaissais autour de moi et qu’on ne voit pas beaucoup dans l’espace public. Et surtout de faire en sorte qu’il n’y ait pas de paroles d’experts. Il n’y a pas de voix off non plus. La seule tierce personne qui est présente, c’est moi, parce que je pose les questions. L’objectif était de montrer comment ces filles-là sont les expertes de leur propre vie. Même si elles ne sont pas sociologues. Quand on leur pose des questions assez précises, on voit qu’elles ont un regard, une capacité à expliquer ce qui leur arrive, à avoir un recul critique sur leur expérience.

Est-ce que vous pouvez expliquer ce qu’est l’afro-féminisme ?

A.G : C’est un peu ce qui organise le film : l’interdépendance de nos identités. Quand j’ai en face de moi des personnes qui n’ont jamais entendu ce terme, je leur explique que je ne vais pas un jour choisir d’être une femme, un autre d’être une noire, le surlendemain d’être pansexuelle. L’afro-féminisme permet d’aborder toutes ces questions conjointement. À Paris, les femmes qui gardent des enfants sont souvent des femmes africaines. Et elles gardent les enfants de femmes blanches des beaux quartiers. Comment se mêlent les questions de classe, de race, de genre : c’est l’enjeu de l’afro-féminisme. Par exemple, la catégorie femme n’est pas homogène. Dans cette catégorie, il y a des rapports de pouvoir qui peuvent être liés aux questions raciales. L’afro-féminisme, c’est une façon de ne pas avoir à choisir entre mes différentes identités et de ne pas avoir à hiérarchiser des discriminations. Je prends tout en bloc et je veux faire avancer tout en bloc.

Vous dites que les femmes noires sont minorisées deux fois : en tant que femme et en tant que noire. Comment comptent-elles s’émanciper de cela ?

A.G : Je n’ai pas encore la boule de verre. Ce que je peux dire c’est qu’il semblait y avoir un déficit de parole et je m’attaque donc à ça. Notre génération a la chance d’avoir Internet. Nous avons désormais accès à un certain nombre de moyens d’expression, de production de contenus. Nous sommes capables de créer des archives. Rendre possible le partage d’expérience, c’est un premier pas. Il est très dur de remédier à des actions d’injustice ou de discrimination quand on ne comprend pas ce qui nous arrive. Le film sert à révéler les enjeux politiques qui ne se voient pas forcément comme tels.

Il y a des thématiques en miroir. Au début du film, on parle des cheveux sur la question de l’estime de soi, de la beauté. Quand on arrive vers la fin, on revient à cette thématique mais par rapport à l’emploi. Et là, on voit que ce n’est pas juste une question individuelle de se trouver belle avec les cheveux crépus mais une question collective. Parce que l’enjeu c’est : est-ce qu’on va pouvoir trouver du travail avec les cheveux crépus ? Pour moi, c’est important de pouvoir en parler. C’est un début. Il y a comme une effervescence de prise de parole publique. Maintenant, il va falloir voir comment cela se transmet dans les institutions. On est dans une phase où on dresse des constats.

"Ouvrir la voix", à 20 h 30, au cinéma Le Select de Saint-Jean-de-Luz. La projection sera suivie d'un débat avec la réalisatrice. Il sera animé par Les Simones du Boudoir.