Caroline MALCZUK

À Tardets, la famille Dadakou a entamé sa deuxième vie

Il y a plus de trois mois, Tardets annonçait à ses habitants l'arrivée d'une famille de refugiés syriens. Grâce à un bel élan de solidarité, André, Iba et Roudy se sont plutôt bien intégrés. Loin de l'horreur qu'ils ont pu connaître en Syrie. La commune est prête à renouveler l'experience humaine.

André, à droite, et sa femme Iba, en train de servir le café, construisent une nouvelle vie loin de la guerre à Tardets. À l'aide notamment de Maite, au centre. ©Caroline MALCZUK
André, à droite, et sa femme Iba, en train de servir le café, construisent une nouvelle vie loin de la guerre à Tardets. À l'aide notamment de Maite, au centre. ©Caroline MALCZUK

"André" reçoit dans un grand salon aux hauts plafonds. À nouvelle vie, nouveau nom pour ce kurde syrien autrefois appelé Mohammad. Les fenêtres sont grandes ouvertes sur la rue, la mairie et un parc avec des jeux extérieurs pour les enfants. Quelques meubles en bois massif sont disséminés dans la pièce. Une fresque aux tons orientaux décore un pan de mur. Un fauteuil en cuir a été placé sur un large tapis coloré. À la télévision, sur la chaîne France 24, la guerre fait rage à Rakka. Des informations défilent en arabe sous les images des combats. Un écho lointain de la Syrie que la famille Dadakou a connue.

André, Iba et Roudy, leur fils de six ans, sont arrivés le 21 mars à Tardets. En 2015, la commune s’est déclarée volontaire auprès de la préfecture pour accueillir des migrants. L’électrochoc est survenu lorsque la photographie du corps d’Aylan, un petit garçon syrien de 3 ans retrouvé sur une plage de Turquie, faisait alors le tour du monde. Lors d’une interview, à la question d’accueillir des migrants, Arnaud Villeneuve répond spontanément "oui". Il est suivi dans cette démarche par les 15 membres du conseil municipal. "C’est dans notre tradition" justifie-t-il aujourd’hui, faisant référence aux immigrations espagnole et italienne d'avant. Il y a des réactions positives et négatives parmi les 600 habitants*. Cela a été "globalement bien pris".

Dix huit mois plus tard, la famille Dadakou emménage. Le temps a semblé long pour les Atharraztar. "Au bout d’un moment, nous étions embêtés" se souvient Arnaud Villeneuve. Car tous s'étaient mis en ordre de marche. Des travaux avaient été réalisés dans deux anciens logements de fonction de La Poste. Pour 53 000 €, pris sur le budget de la commune. "C’était prévu, la démarche a été accélérée." La mairie avait écrit aux services de l’État et rempli les dossiers. Les appartements avaient été labellisés par le sous-préfet d’Oloron. Un appel aux dons avait été lancé via les médias. Grâce aux particuliers et à la déchetterie, il y avait de quoi meubler l’appartement.

Prison et torture

Pourtant, Tardets n’était pas le premier choix d’André quand les Nations-Unies lui ont dès 2016 proposé différentes options de pays. Plutôt l’Australie. Alors réfugié à Beyrouth avec sa famille, où ils étaient hébergés par un ami, on lui disait que la France était un pays raciste, que les Arabes n’y étaient pas les bienvenus. Pour finalement qu’André raconte : des Libanais, eux-mêmes, étaient hostiles aux Syriens. Lors d’un trajet pour aller au supermarché, des oeufs pourris lui ont été jetés d’une voiture. Le Liban, six millions d’habitants, accueille actuellement près de 1,2 million de réfugiés venant de Syrie, selon Amnesty International. C’est environ une personne sur cinq.

Dans tous les cas, sa place n’est pas en Syrie. Son grand-père puis son père étaient des militants de l’opposition kurde. De ceux qui rêvent d’une province autonome comme en Irak. C’était assez pour que Mohammad soit fiché par le régime de Bachar El Assad dès la naissance. En 2011, année des révolutions arabes, il manifeste pour la paix et la liberté dans la rue. Il le paiera par la prison et la torture. Difficile de savoir combien de temps il a dû subir la chaise allemande** mais le fait est qu’il a été impossible pour lui de marcher pendant huit mois. Ce qui est sûr, dit-il, c’est que sans les 30 000 dollars que son père a donné à l’époque à un général syrien, il ne serait plus là.

L’horreur qu’André a vécue a beaucoup touché le maire de Tardets. Avec une prise de conscience : "Ils font prendre du recul sur la chance qu’on a, sur notre qualité de vie."

Trois mois après s’être installé en Haute Soule, André déborde de merci. Pour le "peuple français", comme le traduit maladroitement Google Translate de l’arabe, et pour le "peuple basque". En particulier "Tardet’s people", les gens de Tardets. Elles sont trois, surtout, à s’être impliquées auprès de la famille : Maite, Bernadette et Martine. La première est présente au quotidien, la seconde se charge plutôt de l’aspect médical tandis que la dernière s’occupe des papiers. Ancienne secrétaire de mairie, Martine témoigne : "Ils sont presque de la famille. Ils sont présents dans nos esprits."

Des forces vives

Accompagner une famille de migrants à s’installer dans sa nouvelle vie, elles ont appris sur le tas. Une association a été créée pour récolter des fonds, Solidarités Tardets. Carte de séjour, dossier RSA, traduction du permis de conduire, Couverture maladie universelle : chaque semaine a son lot de nouvelles connaissances et de "petites surprises". Des bonnes et parfois des mauvaises "Ce n’est pas si facile que ça, cela peut être compliqué" insiste Bernadette, ancienne employée d’un laboratoire d’analyse. Et l’Etat dans tout ça ? À part quelques financements, il est presque absent.

Mais les forces vives sont nombreuses à Tardets. Étonnamment, via le bouche à oreille, la mairie n’a pas eu du mal à trouver des interprètes en arabe. Libanais, syrien, algérien ou encore libyen. Pour le premier cours de français, "elles ont déboulé à neuf" sourit Arnaud Villeneuve. "C’est la mobilisation des gens qui fait toute l’intégration, tout l’accompagnement." Quant au petit Roudy, il va à l’école du village où il a été intégré par les autres enfants. "C’est comme s’il était né ici" commente Martine. Dans sa classe, il a même appris à ses camarades à compter jusqu’à dix en arabe.

De leur côté, André et Iba sont sur le chemin de l’autonomie financière avec 714€ par mois. L’objectif étant qu’ils parviennent à trouver un travail, qu’ils deviennent des citoyens lambdas. Des problèmes de dos, des conséquences de la torture, n'ont pas permis à André de garder son travail dans un restaurant. Mais ayant obtenu l’asile, il peut rester encore dix ans sur le territoire français avec sa famille. Arnaud Villeneuve est confiant. "Ce sont des gens très dignes, volontaires dans leur intégration." Quant à l’élan solidaire autour d'eux, "le plus dur, cela va être la durée".

Un retour possible ?

Retourner en Syrie un jour, si les choses s’améliorent? "Je ne sais pas", répond André. Lui et sa femme ont encore la tête là-bas. André s’inquiète pour ses six frères, sans compter celui qui est mort, ainsi que pour sa mère qu’il n’a pas vu depuis six ans. Son père est décédé quatre mois après être sorti de prison. Il y a été torturé en échange d’informations sur André. Trois frères et trois soeurs d’Iba sont encore là-bas. Plus sa soeur jumelle qui est au Qatar. Pour les protéger, elle ne veut pas avoir le visage photographié. Elle a aussi perdu un frère il y a deux ans. Il avait 24 ans.

Mais ce qui cause le plus de soucis à André, c’est son fils de 19 ans. Khalil, né d’un autre mariage. Coincé en Turquie, il est actuellement sans ressources. Martine, Maïte et Bernadette essayent d’aider André à trouver une solution pour le rapatrier à Tardets. Il a peur qu’il se radicalise ou qu’il soit enrôlé par l’armée syrienne qui recrute tout garçon âgé entre 18 et 46 ans. Elles misent sur le rapprochement familial dont les réfugiés peuvent bénéficier. Mais elles doivent faire vite car ce rapprochement est encore valable quand le concerné est dans sa dix-neuvième année. Pas après.

Tout n'est pas réglé. Mais trois mois après l'arrivée de la famille Dadakou à Tardets, on peut dire que le bilan est positif. Et la reconnaissance se trouve des deux côtés. "Cela a généré plein de choses en termes de dynamiques villageoises", souligne Arnaud Villeneuve. L’accueil de réfugiés, c’est une chance que Tardets est prête à renouveler. La commune attend une famille ukrainienne.

 

* Selon le recensement de 2015.

**Cette chaise métallique comprenant des parties mobiles provoque une extension extrême de la colonne vertébrale, qui entraîne une quasi-asphyxie et parfois la fracture des vertèbres, et une paralysie des membres inférieurs explique Reporters sans frontières.