Propos recueillis par Justine Giraudel
Entrevue
Anne-Marie Michaud
Co-présidente du Comité pour la défense des droits de l'Homme en Pays Basque

"La valeur humaine d'un détenu est absolue et inaliénable"

Le 12 mai, le Comité pour la défense des droits de l'Homme en Pays Basque (CDDHPB) faisait parvenir un courrier à la directrice de l'Administration pénitentiaire pour dénoncer la répétition d'incidents dans les prisons de l'Hexagone. Anne-Marie Michaud, co-présidente du comité depuis un an, dénonce les tentatives de déshumanisation à l'oeuvre dans le milieu carcéral. Des mesures qui, rapportées au cas du Pays Basque, lui apparaissent comme autant d'entraves au processus de paix et qui appellent la mobilisation de la société civile.

Anne-Marie Michaud. © DR
Anne-Marie Michaud. © DR

Pour replacer le contexte, vous évoquez divers incidents dans les établissements de Fresnes et de Fleury-Mérogis, touchant des détenus basques mais aussi des détenus de droit commun. De quels incidents s'agit-il ?

Anne-Marie Michaud : Dans les deux prisons, des détenues se battent pour leur dignité et le respect de leurs droits. A Fresnes, la seule réponse donnée a été l'isolement d'Itziar Moreno, et sept détenus basques de la maison d'arrêt des hommes se sont mis en grève de la faim depuis plus de huit jours, en signe de solidarité.

Pourquoi le CDDHPB s'est-il emparé de ces sujets et a-t-il envoyé un courrier aux directions ?

A-M. M : Il n'y a aucune possibilité de dialogue entre détenus et directions, ce qui est pourtant un droit élémentaire. Nous sommes de nouveau face à un ensemble d'évènements qui se clive entre deux pôles : ce qui est humain et ce qui est inhumain.

Le sujet nous interpelle. Tout prisonnier est un homme à part entière, sa valeur humaine est absolue et inaliénable. C'est la raison d'être des droits de l'Homme, ce qui guide notre action si on ne veut pas basculer dans l'inhumanité. Localement, nous sommes plus précisément concernés par les prisonniers politiques basques et par toute situation où les droits humains ne sont pas respectés en Pays Basque. 

Que réclamez-vous ?

A-M. M : Nous réclamons l'application de la loi inscrite dans les droits de l'Homme pour tout ce qui concerne la santé, la vie quotidienne et relationnelle des détenus en général, et basques en particulier. Et l'ouverture du dialogue entre directions et détenues.

Mais nous dénonçons aussi inlassablement les refus de libération conditionnelle pour les prisonniers malades, notamment Ibon Fernandez Iradi, et ceux qui sont "conditionnables" : Unai et Ion Parot, Xistor Haranburu et Jakes Esnal. Nous dénonçons aussi l'isolement et la dispersion qui affectent grandement les détenus et leurs familles.

Vous soulignez la multiplication des atteintes aux droits des détenus dans les prisons de l'Hexagone. Selon vous, quel est l'objectif de ces mesures pour les directions ?

A-M. M : Toutes ces atteintes à la loi et aux droits de l'Homme amènent à s'interroger. Sur le facteur personnel des directeurs de prison, mais aussi principalement sur l'interférence entre l'exécutif et le judiciaire. Le signe d'une démocratie est pourtant leur indépendance.

Nous  posons l'hypothèse que cette interférence consiste à exercer une pression pour briser des volontés de résistance. Et nous allons même jusqu'à penser qu'elle est là pour empêcher le processus de paix lancé à Aiete, en 2011. A partir du moment où le détenu, pris en otage, est traité comme un moyen pour des fins qui lui sont étrangères, nous sommes face à son instrumentalisation.

Itziar Moreno a été placée à l'isolement depuis début mai. Selon vous, quelles sont les conséquences d'une telle mesure pour un détenu ou une détenue ?

A-M. M : La situation dans laquelle elle se trouve est extrêmement éprouvante, faite pour briser sa personnalité et l'isoler des autres. On sait qu'elle tiendra bon, mais comme je le disais, le refus de dialogue et le non respect des droits élémentaires marquent incontestablement une tentative de déshumanisation.

Comment percevez-vous le mouvement de solidarité des sept hommes de la maison d'arrêt de Fresnes, en grève de la faim depuis neuf jours ?

A-M. M : Ce mouvement de solidarité est exemplaire et traduit une humanité exceptionnelle. Se priver de nourriture est un acte de grande signification quand il est posé librement, gratuitement, pour soutenir sa camarade injustement mise à l'isolement. Cette attitude de dignité, de soutien, d'encouragement des détenus basques à l'égard de leurs camarades, basques ou non basques, a beaucoup marqué certains visiteurs de prison avec qui j'ai eu l'occasion de parler.

[A l'heure de publication de cet article, Etxerat vient d'annoncer que les quatre détenus basques de la prison d'Osny on rejoint le mouvement de solidarité avec Itziar Moreno et mènent eux aussi des actions de protestation, ndlr.]

Quelle place pourrait prendre la société civile dans ces combats ?

A-M. M : Le conditionnel s'impose. La société civile porte en elle un réel pouvoir qui pourrait obliger les élus à s'engager contre l'injustice, notamment en ce qui concerne des manquements à la loi. Elle a aussi d'autres moyens de lutte : celui de s'informer, d'informer, de manifester, de s'associer. Mais la vie associative se heurte à une grande difficulté : comment faire prendre conscience à la société civile de l'inhumanisation de la vie carcérale ?

Nous menons nous-mêmes des actions comme l'envoi des lettres, ou l'édition de notre bulletin Jakilea distribué à 500 abonnés et reçu par chaque détenu politique basque. Il est également à destination de tous ceux qui le souhaitent: nous nous occupons notamment du cas de Georges Ibrahim Abdallah, emprionné à Lannemezan, un des prisonniers politiques à avoir fait la plus longue peine dans l’État français.

Selon vous, quelle devrait être la fonction d'une prison ?

A-M. M : Une prison devrait donner au détenu le désir de préparer sa réinsertion et de retrouver sa vie sociale en y étant totalement responsable. Or, on ne peut que constater l'échec de la solution carcérale : au lieu de préparer, elle infantilise, elle isole, elle écrase. (…) Nous sommes effrayés par le fait que se profile la perpétuité pour certains détenus. De gros efforts d'imagination doivent être menés pour trouver d'autres solutions que celles de la prison, qui n'est plus du tout adaptée à ce qu'on peut attendre aujourd'hui.

Quel message souhaite faire passer le CDDHPB ?

A-M. M : Les droits de l'Homme sont à la fois un idéal et des réalités que nous devons protéger, car elles sont les garantes de notre dignité et de notre humanité à tous, prisonniers compris. Pour cela il faut rester vigilant et attentif. Je le répète, tout homme a une valeur absolue, inaliénable. C'est à la loi, en premier, à le protéger. Et ce n'est pas ce qu'il se passe actuellement dans les prisons françaises.