Béatrice MOLLE-HARAN bmolle@mediabask.eus
Entrevue
Martin GARITANO
Député général du Gipuzkoa

“Mon rêve aurait été de terminer avec tous nos prisonniers dehors”

Martin Garitano (EH Bildu) élu député général du Gipuzkoa s’apprête à passer le relais, avant les élections du prochain 24 mai, dont la campagne officielle vient de débuter. Rencontre au siège de la Diputació­n à Donostia.

Martin Garitano. (Andoni CANELLADA / ARGAZKI PRESS)
Martin Garitano. (Andoni CANELLADA / ARGAZKI PRESS)

Le 25 mai prochain, lendemain des élections municipales et forales au Pays Basque Sud, Martin Garitano (EH Bildu), député général du Gipuzkoa (à la tête de cette institution composée de 51 élus), s’apprête à laisser son poste. Il l’avait toujours dit : “je ferai un mandat, d’autres mieux préparés que moi prendront la suite”. Il a tenu parole et s’apprête à reprendre son métier de journaliste. Martin Garitano, c’est aussi un style, il a continué à prendre le bus tous les matins pour se rendre à l’imposante bâtisse de la Diputación, située Place du Gipuzkoa et à pratiquer le poteo avec ses amis de toujours. Mais que l’on ne s’y trompe pas, sous ses airs affables, il s’est révélé comme un redoutable politique, capable de rugosité mais aussi de consensus avec les autres forces politiques. Capable de défendre et d’assumer clairement le rôle historique et politique d’ETA et d’assister à un hommage à Joxe Mari Korta, mort suite à un attentat perpétré par ETA, en 2000.

Quel  sera votre meilleur souvenir comme député général du Gipuzkoa ?

Martin Garitano : Au début de la législature a eu lieu la Conférence d’Aiete qui a posé les bases de l‘arrêt de la lutte armée par ETA. Je suis né en 1963, j’ai connu l’époque de Meliton Manzanas, Franco, et bien sûr toute la trajectoire d’ETA. Je suis né dans l’humiliation, dans un milieu basque très réprimé. Vivre la Conférence d’Aiete a été un événement historique, un orgueil pour tous les citoyens du Pays Basque.

On a beaucoup parlé de la réforme fiscale que vous avez mise en place,  notamment de ce que l’on appelle ici l’ISF (Impôt sur la fortune), en êtes-vous fier ?

M.G : Il se trouve que nous avons trouvé une situation où celui qui en possédait le plus payait le moins, il y a donc eu des ajustements nécessaires. Mais cela concerne une minorité et notre but n’était pas de “punir les riches”, simplement d’exercer la solidarité. Car vous savez, le territoire du Gipuzkoa est très solidaire. Au final, cette loi a été très bien acceptée, car elle est juste.

Vous avez révélé que Bidegi (entreprise gérant les autoroutes et dépendante de la Diputación) avait payé pour des travaux qui n’ont pas été réalisés (on parle de plusieurs millions d’euros) sous la précédente législature. Vous avez porté plainte pour falsification et détournement de fonds. Le PNB, (Parti nationaliste basque) qui était aux affaires sous la précédente législature, nie en bloc et dénonce une manœuvre électorale. Qu’en pensez-vous ?

M.G : Nous ne sommes pas venus ici pour punir les autres partis et tout casser. Mais si nous ne dénonçons pas ce genre de pratique, qui s’apparente en fait à un système, nous serions complices. Durant notre mandat, aucune entreprise ne pourra dire que nous avons touché un seul euro, ni collectivement, ni personnellement. La plainte a été déposée contre Bidegi.

Autre sujet polémique, la politique des déchets avec l’abandon de l’incinérateur, êtes-vous satisfait ?

M.G : Le Gipuzkoa nous a donné 23 sièges et nous avons appliqué notre programme : abandon de l’incinérateur, en accord d’ailleurs avec les préconisations contenues dans les directives européennes, ainsi que l’abandon de la construction du Port de Pasaia. Par ailleurs, dans d’autres domaines, nous avons passé des accords avec les autres forces politiques. Les générations futures nous remercieront, même s'il y a toujours des réticences à changer nos habitudes, notamment en matière d’environnement et d’écologie. Cela me rappelle les problèmes de l’Alarde (défilés lors des fêtes) d’Irun et Hondarribia. Dans quelques années, cette polémique concernant la participation des femmes aux défilés paraîtra aux yeux des jeunes générations, totalement irréelle.

Le Gouvernement espagnol vous a attaqué pour avoir donné une subvention de  600 000 euros à Seaska pour le collège Xalbador Ikastegia. Où en est l’affaire ?

M.G : Nous avons des arguments, le gouvernement espagnol possède des Instituts Cervantés pour développer le castillan à Pékin ou à Bombay et les institutions basques n’auraient pas le droit de contribuer à ce que d’autres citoyens basques puissent apprendre le basque ? On nous accuse “d’argent mal dépensé”, mais nous avons le droit de consacrer 0,7% de notre budget à la Gambie et non à l'Euskal Herria. Nous sommes confiants.

Les élections forales (régionales) et municipales vont avoir lieu le 24 mai prochain avec peut-être l’irruption de Podemos sur la scène électorale basque. Qu’en pensez-vous ?

M.G : Il est toujours difficile de faire des prévisions. Je  pense que nous avons respecté notre programme, ce pourquoi les gens nous ont élus. Quant à Podemos, comme vous le disiez, ils n’ont pas encore vraiment décidé de leur participation ou non à ces élections. Mais je ne pense pas que cela affectera la gauche abertzale. Cela sera différent en Espagne et en Euskadi, car ici le vote protestataire contre le capitalisme, les banques et l’exploitation est capté par la gauche abertzale (Sortu). Gauche abertzale qui, je tiens à le rappeler, est au sein d’une coalition très ample, EH Bildu, où se trouve EA de centre gauche et Alternatiba qui représente une autre tendance.

Comment voyez-vous l’avenir ?

M.G : Cela a été une grande fierté et un très grand privilège après tant d’années de marginalisation politique d’obtenir la majorité à la Diputación. Mon seul regret, c’est qu’à la fin de ce mandat il y ait encore des prisonniers et prisonnières basques. Mon rêve aurait été de terminer avec  tous nos prisonniers dehors. Cela ne va pas être simple car. L’Etat espagnol est immobiliste, à la différence de l’Angleterre, voire de la France qui peuvent à un moment donné faire preuve de pragmatisme. L’Etat espagnol, lui, manque de culture à ce niveau-là. Il y a aussi l’attitude du PNB (Parti nationaliste basque) qui à longueur d’années répétait que s'il n’y avait plus de violence, il serait possible d’avancer vers l’indépendance, de trouver des accords. Mais on le voit aujourd’hui, c’était un mensonge de leur part. En fait, il leur manque la volonté politique. Là où le PNB est le plus à l’aise, c’est avec un espagnolisme faible représenté par le PP et le PSE.  Malgré tout cela, nous avons franchi des pas et nous avançons.

C’est votre premier et dernier mandat. C’est rare en politique de ne faire qu’un mandat même si vous l’aviez annoncé. Plus d’un aurait succombé aux fastes et à l’addiction que représente le pouvoir…

M.G : Pas du tout ! J’ai été très heureux ici pendant quatre ans mais ce n’est pas ma vocation première. Lorsqu’il y a quatre ans, on m’a demandé d’être tête de liste, je n’ai pas refusé, car après tant d’années à demander aux autres de s’engager, c’était mon tour. Je me considère avant tout comme un travailleur. Et pour tout vous dire, je n’ai pas eu de problème par rapport au pouvoir, j’ai continué à mener une vie normale et cela sans me forcer. Je suis tout autant heureux de reprendre bientôt mon métier de journaliste. C’est tout ce que je sais faire, à part jouer de la trompette, mais pas assez bien pour gagner ma vie ! Plus sérieusement, je le répète, cela a été un très grand privilège que d’avoir été à ce poste, nous avons appliqué notre programme et aujourd’hui nous devons avancer vers la résolution du conflit. Comme journaliste, j’ai connu et vu les souffrances des deux côtés. Et je n’ai jamais été étranger à ces souffrances.