Argitxu Dufau
Entrevue
Quitterie Duhurt-Gausseres (d'après son idée originale) / Olivier Masset-Depasse (réalisateur)

Quitterie Duhurt-Gausseres : "c'est une bascule à l'intérieur d'ETA et de la gauche française"

Le film "Sanctuaire" était projeté le 21 janvier pour la première fois, au FIPA à Biarritz. Le film traite de l'implication française dans la tentative de réconciliation entre le gouvernement socialiste espagnol et l'organisation ETA. Le film aborde aussi le tournant du groupe armé au lendemain de la mort de Franco, le GAL et l'implication de la police française.

Quitterie Duhurt-Depasse et Olivier Masset-Depasse (BobEDME)
Quitterie Duhurt-Depasse et Olivier Masset-Depasse (BobEDME)

Présents à Biarritz pour la projection de "Sanctuaire", le réalisateur et la productrice du film diffusé pour la première fois au FIPA, ont expliqué leurs choix artistiques et politiques. Ce film grand public sera rediffusé au FIPA vendredi 23 janvier à 9h30 au cinéma Le Royal. Il sera diffusé sur Canal + en mars prochain.

A quel public adressez-vous ce film ?

Olivier Masset-Depasse : Le film n'est pas fait que pour les Basques, il est aussi fait pour les français et les espagnols. On a essayé d'être le plus respectueux, le plus juste. Il est vrai qu'on a fait des écarts dramaturgiques, notamment sur les divergences des commandos autonomes... Il faut que les Basques comprennent que c'est une fiction avec des personnages publics, donc on peut se les approprier mais il faut le faire avec respect.

Pourquoi parler de cette époque précise, 1984 ?

Quitterie Duhurt-Gausseres : Parce que c'est le moment charnière, le moment où il y a une bascule importante qui s'opère. C'est aussi une histoire dont j'avais un souvenir à la fois précis et confus dans les rues de Bayonne que je connaissais. Je me souviens de cette chape de plomb, de cette peur et de cette incompréhension. Je savais aussi que c'était une blessure [ici, ndlr.] parce qu'il n'y avait pas eu de réponse. Il y a un sentiment de négligence des faits passés, voire que la France s'était rendue complice par sa police et sa politique... J'avais envie qu'on revienne là-dessus. J'en ai parlé à Canal+ qui avait le même avis que moi.

Nous étions partis sur le GAL. Mais nous nous sommes rendus compte que ce qui nous intéressait en fait, c'est que le GAL à cette époque est un catalyseur, un révélateur. Ce qui nous intéresse, c'est cette bascule qui s'opère à l'intérieur d'ETA et à l'intérieur de la gauche française. C'est une histoire générationnelle où il faut digérer à l'intérieur et à l'extérieur. ETA avant et après Franco est à la fois le même et pas le même. On veut rappeler que ETA a longtemps eu le même ennemi que la France, la gauche, Inteligentsia : Franco. Sauf qu'ETA avait aussi le combat de l'indépendance.

Avez-vous reçu des pressions de la part d'ETA ? De l'Etat Francais ? Espagnol ?

O. M-D. : Il n'y en a pas eu, en tous cas pas encore parce que personne n'est au courant. On propose une fiction où il y a des personnes comme Robert Badinter ou Antxon, mais il ne savent pas encore qu'ils font partie du film, ils vont certainement réagir à ce moment-là.

Q. D-G : Les hommes politiques français sont habitués, c'est plutôt la représentation d'ETA qui peut être compliquée.

O. M-D. : Il faut essayer de faire un film respectueux et juste mais pas poli. Il faut qu'il soit malpoli. On a l'habitude de taper sur l'Espagne et ETA mais on a moins l'habitude de taper sur la France, sur les complicités qu'elle a eu.

Aucune femme à part Yoyès, pourquoi ?

O. M.-D. : C'est d'abord l'histoire d'une tentative de conciliation faite par la France entre deux camps adverses. J'ai inclus Yoyès parce que justement elle incarne quelque chose de rare car elle est à la tête et il n'y en n'a pas eu d'autre. J'ai tout concentré sur elle, pour montrer cette singularité.

Q. D.-G. : D'après les témoignages rapportés, il y avait très peu de femmes dans les commandos. Les femmes étaient dans la logistique y compris côté Nord. ETA était quand même connue pour être une organisation assez machiste dans son mode de fonctionnement et son organisation militaire. Il y en a eu après, dans les années 90-2000.

Comment avez-vous choisi les acteurs ?

O. M.-D. : Il est clair qu'il fallait des acteurs basques et qu'il fallait parler en basque. On a été faire des castings à San Sébastien d'acteurs et non acteurs, impliqués ou non. Tous nous ont dit : "oui, mais il faut que je lise le script" et ils ont accepté après lecture.

Comment avez-vous fait les choix linguistiques ?

O. M.-D. : C'était évident. Dès le départ il était clair que nous ne voulions pas de doublage. C'est une histoire basque, il fallait aussi montrer la basquitude.

On parle peu basque dans le film tout de même...

O. M.-D. : Oui car peu d'entre eux parlaient basque. On voit qu'il y a une génération qui en a été empêchée. Txomin, Antxon et Joseba le parlaient couramment.

Q. D.-G. : Le charisme de Txomin reposait beaucoup sur sa connaissance de la langue, cela y a beaucoup contribué. C'est intéressant de voir qu'il y avait aussi un rapport de force qui s'installait entre les deux générations : ceux qui savaient parler et ceux qui ne savaient pas, soit parce que les parents ne leur avaient pas appris par choix soit à cause du traumatisme franquiste. Parler était déjà un enjeu politique et un enjeu de pouvoir à l'intérieur d'ETA.

Si le mot "sanctuaire" n'existait pas comment auriez-vous nommé le film ?

Q. D.-G. : "Sanctuaire" a été une évidence. Lorsqu'on a rencontré toutes ces personnes pour récolter les informations pour pouvoir écrire et s'en servir de bible, le nom était déjà "Sanctuaire". C'est à la fois un terme géopolitique pour nommer les bases arrières des terroristes. C'est aussi un mot pour nommer quelque chose qui tient de l'inviolable, de l'inviolé quasi sacré.

O. M.-D. : C'est aussi l'aspect antique du peuple basque. A travers les décors et les paysages c'est ce que j'ai essayé de montrer. On parle d'un peuple qui remonte à très loin.

Est-ce que le film rend compte que c'est un problème espagnol mais aussi français ? Le Pays Basque Nord étant à la fois un sanctuaire et un territoire basque sur l'Etat français…

O. M.-D. : J'espère mais je doute. Je ne pense pas que les gens vont percuter, il faut être basque pour cela et dire "ce n'est pas la France du sud, c'est le Pays Basque Nord". Il faut avoir une idée géopolitique du Pays Basque. Sinon il aurait fallu mettre des cartes au début etc. C'est toujours la limite de cet exercice, d'avoir 1h30 pour un sujet aussi vaste. On a voulu rester dans notre cadre, raconter une tentative de conciliation entre trois éléments.

Pensez-vous avoir trop humanisé vos personnages ? Notamment Txomin comme a souligné une personne hier lors de la projection.

O. M.-D. : Mon travail c'est d'humaniser les personnages. Il y a deux sortes de films : soit on montre un tueur et on ne se laisse pas raccrocher à lui parce qu'il est complètement hors-norme ou on essaye de comprendre sans excuser. Le personnage de Txomin est ambigü, si ce n'est sur sa volonté d'indépendance. Je pense, c'est subjectif, que des combattants à un certain moment doivent passer dans la politique. Tout au long du film on se demande s'il y croit vraiment et s'il ne fait pas cela pour gagner du temps afin de garder le sanctuaire le plus longtemps possible.

Projeter en plein processus de paix, c'est un hasard ?

O. M.-D. : C'est un film qui montre tout ce que l'on ne doit pas faire. Tout le monde en prend pour son grade. On ne sait pas si l'Espagne a déjà vraiment voulu la réconciliation. On montre des gens qui essayent mais est-ce qu'ils sont vraiment convaincus ? C'est ça la problématique. Est-ce que c'est de la politique politicienne ? En plein processus de paix, en tous cas, c'est un hasard, si ça peut faire du bien tant mieux.