Propos recueillis par Goizeder TABERNA

Hélène Franco : Il n’y a pas de solution politique dans la vengeance

Juge d’instruction à Créteil (94) et ancienne secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Hélène Franco suit la situation du Pays Basque depuis 2011. Elle soutient la manifestation de ce samedi à Paris, et plus largement le processus de paix. Elle l’a fait par idéal universaliste et pour que cesse le conflit. Celui des prisonniers basques est un engagement parmi d’autres pour cette juge qui est également impliquée en politique aux côtés de Jean-Luc Mélenchon. Elle se demande parfois pourquoi elle fait tout cela, elle qui ne manque de rien. Probablement parce qu’elle aime la justice. Elle a reçu MEDIABASK chez elle, la porte grande ouverte.

Hélène Franco est ancienne secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.
Hélène Franco est ancienne secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

François Bayrou et Christiane Taubira, deux anciens garde des Sceaux, se sont exprimés en faveur du processus de paix. Qu’est-ce que cela signifie selon vous ?
 
H. F. : C’est bon signe. Ce qui importe c’est l’objectif, à savoir, faire une paix juste et durable. Quand on commence un processus de paix, il faut créer les conditions pour que cela dure. Quelle que soit la couleur politique, à l’exclusion du Front national, je crois que tout le monde est le bienvenu. Concernant ces deux anciens gardes des Sceaux, je ne sais pas s’ils s'engagent en tant qu’anciens ministres ou en qualité de responsables politiques. Responsable, c’est celui qui répond en fonction d’une situation.
 
Vous avez signé le texte "Prendre le risque de la paix" qui demande un traitement des prisonniers basques moins sécuritaire. Pourquoi cette demande ?
 
H. F. : Le fondement de mon adhésion aux idéaux de la République est l’universalisme, le fait que les hommes naissent libres et égaux en droits. C’est ce qui me pousse à vouloir sortir d’un conflit de cette nature dans lequel du sang a coulé, à trouver une solution politique. Je pense qu’il n’y a pas de solution politique dans la vengeance. Il n’y a pas de solution sans que les acteurs du conflit n’aillent l’un vers l’autre. Il faut que les gouvernements français et espagnol franchissent ce pas, comme l’ont fait les membres de la société civile pacifiste du Pays Basque. Cela ne peut passer que par des gestes qui engagent l’Etat dans ses fonctions régaliennes. La question des prisonniers basques en fait partie.
 
En revanche, je ne suis pas pour que la justice accorde un traitement particulier pour les Basques, pour les Corses. La prise en compte de l’état de santé du détenu, de ses liens familiaux, vaut pour tous les détenus. Ici, la spécificité tient sur le fait que pour arriver à une paix juste au Pays Basque le traitement des détenus est une question qui doit être posée. Ce n’est pas sous l’angle communautaire qu’il faut aborder les choses, c’est sous l’angle de l’humanisme. D’autant qu’il faut revenir au maximum à un statut de détenu homogène sur le territoire de la République française.
 
Le statut de Détenu particulièrement signalé (DPS) ne va pas dans ce sens.
 
H. F. : Ce statut est décidé de manière pratiquement unilatérale par l’Administration pénitentiaire sans magistrat, il y a une sorte d’arbitraire. Le statut de DPS est un statut plus dur que le statut de détenu lambda. Ils sont particulièrement surveillés, ils ne sont pas particulièrement soignés. Il y a une certaine systématicité concernant les terroristes et là, pour le coup, il n’y a pas de cas par cas. Et je pense qu’il faut bannir toute idée de vengeance, la justice n’est pas la vengeance.

Le ministère de la Justice a la possibilité d’agir sur le rapprochement de ces détenus classés terroristes et de transmettre des directives générales au parquet, mais cela ne suffit pas. Les juges également ont un rôle important dans la plupart des procédures. Comment fait-on pour les amener vers une interprétation plus ouverte de la loi ?
 
H. F. : Je pense qu’il faudrait avoir une action à la fois diplomatique entre les deux Etats impliqués, puis une volonté politique en France. Une telle volonté pourrait suffire à régler une grande partie des situations individuelles.
 
Tout de même, lors des demandes de libération conditionnelle, les magistrats exigent aux détenus basques une distanciation claire avec leur passé. Quant aux détenus gravement malades, l’interprétation de la loi par les juges est restrictive.
 
H. F. : Je pense qu’il y a un tuilage. Nous sommes face à un conflit politique, un conflit armé extrêmement long où il y a eu des morts. Il faut que le gouvernement français ait une volonté politique assez forte pour pouvoir mettre autour de la table les différentes parties et faire autant de tables rondes que nécessaires pour arriver à une solution politique.
 
Concernant la justice, je suis attachée à l’idée qu’elle doit être indépendante vis-à-vis du gouvernement, qu’un juge n’est pas une marionnette et qu’il doit motiver ses décisions, faire du cas par cas. Cela ne va pas avec un règlement politique. Peut-être qu’à la fin, on devra arriver à une loi d’amnistie. Cela a été fait pour les militants de l’OAS. Cela pourrait être abordé dans une discussion politique. Si les faits pour lesquels une personne est condamnée sont amnistiés, cela veut dire qu’ils sont effacés. L’amnistie veut dire qu’on ne se souvient plus.
 
Cela pose d’autres problèmes en termes de mémoire collective et de reconnaissance des torts causés.
 
H. F. : Effectivement, mais si on ne va pas jusque-là, il peut y avoir des solutions intermédiaires. Concernant la libération conditionnelle des détenus gravement malades, beaucoup de mes collègues sont réticents à accorder de telles mesures, pour des raisons de principe de précaution. Comment pousser les magistrats à avoir une application plus libérale de la loi ? Pour ma part, je ne démords pas sur leur indépendance, d’autant plus qu’il y a un arsenal législatif très complet.
 
Est-ce qu’un magistrat doit tenir compte du contexte lorsqu’il prend une décision judiciaire ?
 
H. F. : Absolument, il le doit.
 
Est-ce que le désarmement d’ETA peut modifier l’appréciation des magistrats ?
 
H. F. : J’espère que mes collègues lisent les journaux et qu’ils prennent en compte le contexte politique. Un bon juge doit être en phase avec la société qui l'entoure. C’est aussi douter, savoir modifier ses pratiques. Certains de mes collègues motivent leur décision dans le sens de la repentance, mais il y a des possibilités d’appel, on peut aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
 
La repentance est dans l’esprit de la loi de la République ?
 
H. F. : Ce n’est pas mon point de vue. Les lois sont déjà très nombreuses et heureusement qu’elles ne disent pas tout et ne dictent pas toutes les motivations à notre place, sinon nous pourrions mettre de beaux ordinateurs à notre place. Je ne suis pas sûre que l’humain y gagne. Notre système judiciaire est très imparfait, il est très paupérisé, mais il y a encore des voies de recours.
 
Les lois antiterroristes, toujours plus punitives, s’appliquent sur les prisonniers d’ETA. Celle de 2016, par exemple rend la libération conditionnelle plus difficile pour les détenus de nationalité espagnole. Il semblerait que cette classification empêche toute évolution de ce dossier.
 
H. F. : Dès que dans la qualification des faits vous avez le mot "terrorisme", vous rentrez dans un traitement beaucoup plus sévère. Le durcissement perpétuel de la loi antiterroriste et toutes ces lois vont dans le sens de l’éviction du juge et de l’attribution de pouvoirs colossaux aux autorités administratives. Ce sont les principes inscrits dans l’Etat d’urgence qui ont intégré le droit commun maintenant.
 
C’est le sens de l’histoire ?

H. F. : Je ne suis pas sûre parce qu’on n’a pas vu la fin de l’histoire, notamment en matière juridique, il y a quand même des garde-fous. Le Conseil constitutionnel a censuré un certain nombre de points, nous attendons des questions prioritaires de constitutionnalité et la Cour européenne des droits de l’homme peut aussi intervenir. L’Espagne a une législation très dure en la matière, mais en faisant abstraction de cela, la France est le seul Etat dans l’Union européenne à avoir appliqué aussi longtemps l’état d’urgence et à avoir intégré ces principes dans la justice du quotidien, alors qu’elle n’est pas la seule à avoir subi des attentats.