Propos recueillis par Caroline MALCZUK

Jon Andoni Urtizberea : Le Pays Basque est pas mal loti dans la prise en charge de la myopathie

Le Dr Jon Andoni Urtizberea est spécialiste des myopathies, des maladies rares du muscle. En plus d'être praticien à temps partiel à l’Hôpital Marin d’Hendaye*, il co-anime depuis deux ans le réseau français national des centres de référence pour les maladies neuromusculaires (Filnemus). Il enseigne également à l’Institut de Myologie de Paris. Mais son pied-à-terre familial reste situé à Saint-Jean-de-Luz. À l’occasion du Téléthon, ce 8 et 9 décembre, il explique à MEDIABASK les raisons pour lesquelles la population basque est regardée de près par les généticiens, en quoi le territoire est bien loti pour la prise en charge de ces maladies, et où en est la recherche.

Le Dr Jon Andoni Urtizberea est un grand spécialiste de la myopathie. ©DR
Le Dr Jon Andoni Urtizberea est un grand spécialiste de la myopathie. ©DR

Les Basques font partie des populations pour lesquelles les généticiens ont le plus d’interêt. Pourquoi ?

Jon Andoni Urtizberea : Ce qui fait un peu la particularité de la population basque, c’est son homogénéité. Homogénéité relative, puisqu’il y a bien sûr eu des mélanges, surtout dans la période actuelle. Deux myopathies sont particulièrement fréquentes dans cette population, d’où l’interêt des généticiens à son égard. Les généticiens, en général, aiment bien les populations très homogènes. Ça facilite la découverte des gènes responsables de maladies héréditaires. Mais cet intérêt est partagé avec d’autres populations du reste du monde, toutes aussi intéressantes.
 
Est-il vrai qu’il existe une mutation d’un gène qui est dite "basque" ?

J.A Urtizberea : Effectivement, dans une des myopathies concernée (la calpainopathie, dite aussi déficit en calpaine), on retrouve chez les Basques une anomalie particulière (mutation) avec une très grande fréquence pour ne pas dire exclusivement chez les Basques. Que ce soit au Pays Basque même ou dans les pays où les Basques ont migré. En Amérique du Sud surtout. Quand on dit en grand nombre, il faut relativiser. Cela concerne à peu près 70 personnes au Pays Basque même. Mais à l’échelle d’une maladie très rare comme la calpainopathie, cela constitue une particularité.
 
Qu’est-ce que cette mutation entraîne ?

J.A Urtizberea : Cette anomalie du gène de la calpaine entraîne ce qu’on appelle une myopathie. C’est une dégénérescence progressive du muscle qui peut conduire les gens atteints à utiliser un fauteuil roulant à 30, 40 ou 50 ans. Cela dépend des formes et des individus eux-mêmes. La maladie est lentement progressive mais pas mortelle en soi. Le fait d’être très handicapé sur le plan moteur, ce n’est jamais une bonne nouvelle pour eux. 
 
Le Pays Basque est donc plus touché par cette mutation que d’autres régions de l’Hexagone…

J.A Urtizberea : Proportionnellement, oui. Cette mutation "basque" n’est pas très répandue dans le reste de l’Hexagone. Il y a bien des malades souffrant de la même maladie mais avec d'autres mutations. En France, on doit être autour de 200 personnes concernées au total, Dom-Tom compris. La population basque doit y représenter 20 %. On a observé que cette myopathie était présente dans le Pays Basque Sud (vers Saint-Sébastien et autour de Deba, à Gipuzkoa) et dans une moindre mesure sur le versant nord.
 
Existe-t-il une coopération transfrontalière entre Pays Basque Nord et Pays Basque Sud ?

J.A Urtizberea : Depuis dix ans, nous avons conjointement créé et animé un réseau de spécialistes des pathologies musculaires issus des deux côtés de la frontière. Avec des réunions d'experts qui ont lieu environ tous les trois mois en alternance sur quatre sites : Saint-Sébastien, Bilbao, Pampelune et Hendaye. Généralement, les membres du réseau sont majoritairement des neurologues. On se réunit pour discuter du diagnostic de ces maladies qui restent complexes et rares, de la recherche et, le cas échéant, des thérapeutiques innovantes. C’est un réseau qui marche plutôt bien. Il est vraisemblable qu’à l’avenir, on intègre aussi dans le groupe les collègues du centre hospitalier de Bayonne.
 
Est-ce qu’on peut dire que le Pays Basque est en pointe sur la prise en charge et la recherche de la myopathie ?

J.A Urtizberea : On n’est pas mal lotis du tout. Il existe des équipes à Hendaye et à Bayonne qui sont complémentaires dans ce qu’on peut offrir aux malades. Pour le diagnostic, pour le suivi et aussi, une caractéristique de l'Hôpital Marin d'Hendaye*, pour des séjours de répit. Lors de ces séjours, les malades viennent passer un mois, histoire de recharger les batteries et reprendre espoir et forces pour le reste de l'année. L’un dans l’autre, nous disposons d'une offre de soin très complète et assez originale par rapport au reste de l’Hexagone. Même si nous ne sommes pas un Centre hospitalier universitaire (CHU) en tant que tel, nous disposons de nombreux relais dans les CHU de Bordeaux et de Paris notamment. On ne fait pas de la recherche de très haute voltige mais on reste très informés et au fait de tout ce qu’il se passe dans le domaine. Notre expertise, tout comme celle du Centre hospitalier de la côte basque, est reconnue par le ministère [de la Santé].
 
Dans quelle mesure le Téléthon finance-t-il vos projets ?

J.A Urtizberea : Nous bénéficions à Hendaye d’un soutien du Téléthon par le biais d’une subvention pour le fonctionnement de la consultation. Grâce à cela, nous pouvons financer une attachée de recherche clinique, généticienne de formation, qui vient de Saint-Sébastien. Cette personne, à temps très partiel, est un soutien important pour nous et pour les malades. L'argent provient de l’Association française contre les myopathies (AFM), donc du Téléthon. Nous bénéficions, jusqu'à un passé très récent aussi de subventions du ministère en tant que centre d’excellence pour les maladies rares neuromusculaires. Pour nous, le Téléthon, c’est aussi une aide pour l’accueil des familles et la consultation des patients, mais aussi un état d'esprit. C’est un soutien continu qui est apprécié des deux côtés. Cela nous permet, à un moment où l’hôpital public ne va pas très très fort financièrement parlant, de mettre un peu d’huile dans les rouages. Nous interagissons en étroite collaboration avec les services régionaux de l'AFM basés à Merignac lesquels nous sollicitent pour régler des problèmes médicaux et sociaux, quelque fois à distance, et parfois dans le cadre d'urgences.
 
En 2005, lors d’une conférence donnée à Bayonne, vous expliquiez que le Pays Basque était un "parent pauvre" dans la recherche des maladies génétiques rares. Est-ce toujours d’actualité ?

J.A Urtizberea : Cela reste en partie vrai. Il n’y a pas de CHU côté nord. De ce fait, cela limite l’accès à la recherche dite fondamentale. Il n’y a pas de laboratoire de recherche labellisé sur les myopathies à moins de 250 km. Mais c’est lié à l’organisation du territoire et au fait qu’on ne peut pas avoir d’universités partout. Côté sud, en revanche, il y a une ossature universitaire plus solide, à Bilbao et Saint Sébastien notamment, avec des gens de grande valeur qui font ce que l'on appelle de la recherche clinique. Cela consiste à bien étudier des malades et de faire des protocoles de recherche appliquée. Sur les douze dernières années qu'existe le réseau, nous avons pu mener quelques études de ce genre. Il est vrai qu’on est un peu loin des grosses 'usines' de Paris ou d'Evry (comme le Généthon). On collabore toutefois avec eux très régulièrement sur des cas de maladies comme la maladie de Steinert.
 
Où est en la recherche sur la myopathie ?

J.A Urtizberea : Il y a énormément de choses qui ont été faites ces derniers temps, notamment au niveau des traitements destinés à guérir. Jusqu'ici, on était plutôt dans la compensation des déficiences et des situations de handicap. Nous avions quelques pistes pour essayer de guérir mais c’était très compliqué à mettre en place. Depuis deux ans, tout cela s’est accéléré. Au moins pour les deux maladies neuromusculaires les plus fréquentes. La myopathie de Duchenne, d’abord, avec deux médicaments innovants qui ont été approuvés par les agences. Cela concerne pour l'instant un tout petit nombre de patients dans le monde car il s'agit de thérapies très ciblés. Mais c’est certainement appelé à se développer.

Une avancée encore plus spectaculaire a été réalisée pour l’amyotrophie spinale infantile, une maladie très handicapante et souvent mortelle. Depuis un an, on a des preuves formelles qu’au moins un médicament en particulier donne des effets très tangibles. Alors que les gamins décédaient malheureusement en bas âge, ils survivent désormais. Et ceux qui survivaient déjà vont un peu mieux parce qu’ils ont la possibilité de bouger un peu plus. Nous ne sommes pas encore capables de les faire marcher de nouveau, il faut le reconnaître, mais tout ceci est très enthousiasmant tant pour les patients que pour les professionnels de santé. C’est une première avancée majeure dans le domaine après trente ans de travaux de recherche notamment en matière de génétique. Il y a encore plein d'autres molécules dans les cartons mais il faudra du temps, et de l'argent, pour pouvoir les expérimenter. Comme souvent en médecine, on avance à petits pas mais on avance. Pas question de reculer !

* L’Hôpital marin est spécialisé dans la prise en charge de patients adultes lourdement handicapés et porteurs de maladies rares neurologiques et endocrinologiques.