Iñaki Egaña

Après la journée du 8 avril, ETA a élaboré un dossier final

Moins d'un an après le désarmement d'ETA, l'historien Iñaki Egaña fait parler les faits. Dans le livre intitulé “Le désarmement la voie basque”, il revient sur la journée du 8 avril, ainsi que sur toute la période qui l'a précédée, documents à l'appui. Des sources internes à l'organisation comme des sources ministérielles. Chargée de son édition, en trois langues, avec le quotidien Gara et les éditions Txalaparta, MEDIABASK publie le chapitre 33 intitulé "Dossier final", avant sa parution complète en début d'année prochaine.

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Un des points culminants de la journée du désarmement est sans nul doute la place Paul-Bert à Bayonne. Place où des milliers de personnes se sont rassemblées pour assister à cette journée. Personne n'a alors remarqué que, ironie du sort, la petite place située juste à côté s'appelle place de l'Arsenal.

L'aboutissement de l'acte du 8 avril présente de plus huit autres points névralgiques : les caches d’armes où se trouve à proprement parler l'arsenal d'ETA. C'est là que l'organisation a déposé l'ensemble de son armement, fruit d'années, voire même de décennies dans certains cas d'achats au détail et en gros, de mouvements sur le marché noir et de fabrication maison dans ses propres ateliers. Au total, trois tonnes et demi de matériel, entre armes courtes et longues et matériel explosif, une moindre partie déjà fonctionnelle et la plupart prête à être mise en service. Six des caches d’armes avaient déjà été inventoriées dans le processus de mise sous scellés d'ETA. Mais deux manquaient à l'appel : celles de Saint-Pée-sur-Nivelle et d'Araujuzon. Divers médias comme Naiz, Berria ou La Razón ont publié dans leurs éditions numériques les 80 pages répertoriant les inventaires de chaque cache.

Après la journée du 8 avril, ETA a élaboré un dossier final qui a été envoyé à quelques agents impliqués dans le processus. Il rassemble un inventaire détaillé de tout le matériel en trois documents inédits qui sont diffusés pour la première fois à la fin de ce livre.

En analysant les inventaires du matériel mis sous scellés, on distingue trois grands groupes : deux qui ont été saisis dans des interventions policières, et un troisième restitué le 8 avril. Le premier est celui des dix lots numérotés du ZM-01/2014 au ZM-10/2014, découverts par la Police française à Louhossoa en décembre 2016. Parmi eux, ceux qui apparaissent dans l'enregistrement vidéo de février 2014 avec les représentants de la CIV. En son temps, ETA les avait déjà diffusés, ainsi que les médias espagnols, malgré une petite différence dans le pesage. La description ZM est le sigle de Zigilatutako Materiala en basque : matériel mis sous scellés.

Le deuxième groupe correspond à l'armement déplacé au premier semestre 2015 à Biarritz pour l'inventorier et le mettre sous scellés. Il est numéroté ZM-11/2015. Les forces policières ont fait échouer l'opération de mise sous scellés le 28 mai 2015 et ont saisi ce matériel. Les médias espagnols n'ont rendu compte de tout ceci que de manière très générale. ETA a cependant fait parvenir l'inventaire de l'armement saisi à la CIV.

Enfin, le troisième groupe fait référence aux armes et aux explosifs remis par les “artisans de la paix” le 8 avril. Il est numéroté avec les dénominations ZM-BM01 à ZM-BM41/2016. C'est le matériel des six caches d’armes mentionnées auparavant.

Restent donc les dépôts de Saint-Pée-sur-Nivelle et d'Araujuzon, ainsi qu'une quantité importante de nitrate d'ammonium qu'ETA a détruite à deux reprises dans des opérations dont la CIV a été informée, mais qu'elle n'a pas rendues publiques, ne pouvant les vérifier. Selon les indications fournies par l'organisation basque à la commission de vérification, ce matériel fut détruit pour des raisons techniques, liées à des problèmes de transport et de stockage. ETA se serait donc débarrassée en réalité d'environ six tonnes de matériel pendant l'ensemble du processus.

Dans la cache de Saint-Pée-sur-Nivelle, beaucoup de matériel a été stocké dans différents sacs. Dans celle d'Araujuzon, dans quatre bidons. ETA a fourni l'inventaire de chacun de ces dépôts le 8 avril. Il a été diffusé par les “artisans de la paix” eux-mêmes et est paru dans certains médias. Ensuite, dans le dossier final précédemment mentionné, les inventaires de ces deux lots, préparés en amont du désarmement, ont été présentés de façon exhaustive et officielle. Même s'ils ne peuvent être aussi précis que celui du matériel inventorié dans le processus de mise sous scellés, il s'agit là de documents authentiques, comme en attestent les vérifications de la police française, qui l'a par la suite fait savoir aux “artisans de la paix”.

Les médias espagnols ont essayé de semer la confusion, en publiant des informations disant que le matériel ne coïncidait pas avec les inventaires. Le but étant de propager l'idée qu'ETA avait peut-être conservé une partie de son arsenal. Mais le fait que le ministre de l'Intérieur français, dans sa première estimation du 8 avril ait évalué le désarmement de façon favorable, a réduit l'impact de cette tentative de manipulation. Quelques jours après, l' “artisan de la paix” Txetx Etcheverry a déclaré que d'après les informations fournies par les autorités françaises, aucun dysfonctionnement de ce genre n'a été constaté. Ces spéculations ont donc rapidement cessé, même si certains journalistes espagnols s'obstinent à affirmer qu'une partie seulement de l'arsenal sous contrôle a été remise aux “artisans de la paix”.

Le risque réside dans le fait de mettre en doute que le désarmement est “incontestable”. C'était un des critères incontournables qu'ETA s'était fixé durant l'été 2016, lorsqu'elle a tenté le désarmement avec Paris et que la voie de la société civile s'est entrouverte. Dans des documents internes, ETA souligne la tentative de confusion orchestrée par les médias espagnols. Elle y précise que le Gouvernement basque a eu la tentation d'acheter “cette marchandise”. Il semble que dans les contacts entre les différentes forces politiques durant les jours suivants, les dirigeants du PNV se soient montrés inquiets sur le fait que l'armement figurant dans les inventaires pouvait ne pas correspondre. Inquiétude basée précisément sur les intoxications relayées par les médias et répandues par la Guardia Civil, information parvenue à ETA. Avec le risque que le Gouvernement basque ou le PNV commencent à remettre en question, même de façon minime, le désarmement. Mais avec les interventions des autorités françaises et des “artisans de la paix”, ce risque a disparu.

Tout en avertissant que l'on ne pouvait pas exclure de nouvelles tentatives de ce genre pour créer des doutes sur le désarmement, ETA a informé ses militants qu'elle avait déjà reçu les félicitations d'importants agents internationaux. D'après des témoignages recueillis en prison, des détenus ayant occupé des années auparavant des postes importants au sein des appareils logistique et militaire ont par ailleurs félicité la direction de l'organisation. Certains l'avaient déjà fait après Louhossoa. Non seulement pour des raisons politiques, mais aussi pour des raisons techniques : personne ne savait mieux qu'eux les efforts qu'il fallait déployer pour des opérations d'une telle envergure. Malgré le bilan positif général, dans sa documentation et ses bilans, ETA reconnaît entre les lignes avoir vécu des moments difficiles. Elle considère le processus de désarmement comme la fin de certaines “situations étouffantes”.

Les caches du matériel inventorié ont été construites ad hoc pour le processus de mise sous scellés. L'armement restitué lors de la journée du désarmement a été mis sous scellés entre 2015 et 2016. Celui mis sous scellés en 2014 a été transporté chez Béatrice Molle-Haran, à Louhossoa. À Saint-Pée-sur-Nivelle, il n'y avait pas de cache : le matériel y a été déposé au petit matin. A Araujuzon, le matériel devait être plus ancien, et les militants d'ETA ne s'y sont pas rendus pendant le processus de mise sous scellés, à cause de la forte pression policière. ETA a donc décidé de le laisser pour la phase de désarmement. Dans ce dépôt, il y avait quatre bidons.

Dans l'un de ces bidons, on avait introduit un sac à dos noir. Dans la cache, il y avait une grande quantité de cordeau détonant, des matériaux chimiques pour la préparation d'explosifs, en plus de cinq kilogrammes de pentrite, plusieurs ventouses et quelques objets notables, comme un gilet de gendarme.

Dans les caches d’armes, il y avait aussi d'autres choses étonnantes, comme un pistolet automatique de la marque Gregorio Bolumburu, modèle Ruby. On a commencé à fabriquer ce genre de pistolet à Eibar et Gernika en 1915, et diverses forces de police françaises l'ont utilisé jusqu'en 1950. Une pièce particulière, un véritable joyau.

Par le biais du dossier final, la CIV a aussi été informée de l'existence plus que probable de matériel “perdu ou non localisé”. On entend par “perdu” le matériel dont ETA a perdu la trace. Le dossier prend pour exemple un important arsenal retrouvé en février 2012, après des travaux dans un logement de Capbreton, dans les Landes, où on a retrouvé par surprise 80 mitraillettes, 20 pistolets et des munitions selon la presse de l'époque. ETA ignorait son existence. Des dépôts qu'ETA a construits tout au long de ses presque soixante années d'existence et qui ont disparu, pour une raison ou une autre, des listes de l'organisation. Parmi ces dépôts, un fut découvert en 2011 par l'Ertzaintza (police du Pays Basque) à Artxanda, aux alentours de Bilbo. Les médias ont qualifié ce dépôt comme appartenant au “paléolithique d'ETA”.

Le matériel “non localisé” est celui dont ETA détient “quelque piste ou trace”, mais qui serait quoiqu'il en soit “résiduel”. Pour autant, ETA s'est engagé à le rechercher.

ETA a expressément mentionné les pistolets et révolvers dérobés en octobre 2006 dans une usine à Vauvert. Elle était sans doute consciente de l'importance de ce lot, qui avait été chiffré par les médias à 350 armes quand le vol s'était produit. Les autorités françaises ont manifesté à plusieurs reprises aux facilitateurs internationaux l'importance qu'elles donnaient à ces armes. L'organisation déjà désarmée a indiqué ne pas être en mesure de certifier le nombre de pistolets qui n'étaient pas restitués, faisant allusion à la valse de chiffres publiés dans les médias ; elle a ajouté qu'elle ne pouvait pas savoir combien étaient perdus, car elle ne savait pas non plus combien avaient été saisis durant ces années par les forces de police. Elle a mentionné le cas du dépôt de l'Oise, démantelé en octobre 2016, pour souligner que là aussi, elle avait détecté la même “guerre” de chiffres. En tout cas, elle déclare : “ETA n'a aucune connaissance de l’existence d'aucun autre dépôt qui contient un nombre significatif de ces armes. S'il y en a, ETA ignore leur existence”.

Dans son dossier final, ETA a rédigé un chapitre appelé “incidents”. Le plus marquant était le cas de la cache, déjà mentionnée, apparue vide : “Dans le processus de mise sous scellés, les équipes chargées de récupérer le matériel de l'organisation ont trouvé un dépôt vidé. Ces faits datent de 2015. Le dépôt avait été mis en place au début des années 2010, et la seule chose que nos équipes ont trouvée lorsqu'elles s'y sont rendues pour récupérer le matériel est le plastique qui servait à protéger les bidons, recouvrant le dépôt, accroché avec des pierres. ETA a mené une enquête afin de savoir ce qu'il était advenu de ce matériel. Nous écartons la possibilité que cela émane de problèmes internes à l'organisation. Nous ne pouvons écarter aucune autre hypothèse, y compris que la disparition de ce matériel soit liée à une opération menée par les services secrets ou la police. ETA a sérieusement envisagé la possibilité de dénoncer publiquement ces faits, mais elle a finalement préféré remettre l'information entre les mains de la CIV”.

Pour ce qui concerne le deuxième incident survenu durant le démantèlement d'une cache qui aurait vraisemblablement dû contenir de l'armement, les techniciens d'ETA ont eu davantage de doutes, d'après l'information transmise à la CIV, à cause de l'ancienneté du dépôt, qui avait plusieurs dizaines d'années et où personne ne s'est rendu depuis très longtemps. Ce fait a remis en cause l'information diffusée initialement. Malgré cela, dans le dossier, ETA a considéré le matériel comme “non localisé” et a informé qu'elle avait ouvert une enquête à ce sujet.

Les conclusions du document, signé par le Comité exécutif d'ETA et daté du 10 mai 2017, résumaient la portée du désarmement de manière catégorique : “il a été complet”.

— Renseignements :

Iñaki Egaña, Le désarmement la voie basque, co-édition Editions Txalaparta, Gara, Mediabask. A paraitre au 1er trimestre 2018.