Bénédicte SAINT-ANDRÉ

Les réseaux sociaux contribuent-ils à un renouveau de la démocratie ?

Ils ont constitué la première source d'information pour plus de 40 % de jeunes électeurs français. Toute la classe politique a d'ailleurs investi ce champ, relayant parfois de fausses informations. Chacun par ailleurs y exprime, avec plus ou moins de caractère, ses opinions instantanées. Ce nouveau monde est-il un plus pour la démocratie ? Eléments de réponse avec le philosophe Georges Colomar. 

Georges Colomar a enseigné au lycée René Cassin à Bayonne © Aurore Lucas
Georges Colomar a enseigné au lycée René Cassin à Bayonne © Aurore Lucas

La démocratie est née sur l’agora, la place publique, où les citoyens pouvaient échanger et débattre de politique. De nos jours, explique Georges Colomar, les réseaux sociaux, selon leur appellation-même, sont une gigantesque agora, quasi-planétaire, "un outil fabuleux et d’une puissance inouïe pour échanger des opinions, des arguments, des savoirs, se confronter, se rencontrer et conclure des projets et des alliances selon notre bon plaisir".

Facebook, pour ne citer que lui, compte 1,23 milliard d'utilisateurs actifs chaque jour. Comment ne pas y voir le terreau d'une démocratie revitalisée ? Pour le philosophe en effet, la liste est longue de ce qu'ils permettent : un  accès à toute l’information (Wikileaks, open data), une consultation des citoyens en amont de la loi, des  pétitions pouvant regrouper des millions de citoyens, des cercles de réflexion… mille formes nouvelles pour réinventer une "démocratie participative" chère à Arendt ou "délibérative" comme le souhaitait Habermas.

Mais ne s'agit-il pas là d'un idéal apparent seulement ? Car bien souvent les réseaux sociaux se transforment plutôt en caricature d'agora. "Ils sont le lieu d'une accumulation de subjectivités narcissiques qui s'épanchent et se répandent en une logorrhée verbale souvent violente. On y glorifie la sincérité, nouvelle vérité de l’être subjectif qui sort ses tripes et s’expose dans un 'moi, je' affirmant son avis, ce qu’il croit et sa radicale singularité", poursuit le philosophe. Se mêlent ainsi cacophonie, insulte, intolérance et "fakenews". Un quart des liens partagés au sujet de la politique ou de la présidentielle française provient de sources qui aident à promouvoir ces fausses informations, rédigées dans le seul objectif de tromper. 

Des dangers à éviter

La démocratie, contrairement aux régimes autoritaires, a la chance d'avoir une opinion publique et une société civile. Mais, elle suppose, rappelle-t-il, des valeurs et des formes juridiques. La liste est ainsi longue des vertus qui l'obligent :  la civilité du propos, le sens du bien public transcendant les égoïsmes et les calculs, l’effort pour comprendre l’autre -une série de monologues ne font pas un dialogue-, l’idée de compromis et surtout le respect du contrat social qui fait notre vouloir vivre en commun. "Un débat politique n’est pas un combat ou une mise à mort, appuie le philosophe. Il postule la croyance, de principe, que chacun peut détenir une part de vérité comme le disait Marcel Conche et qu’il faut y arriver ensemble pour reprendre Merleau-Ponty".

Mais que construire ensemble sur la versatilité de l’opinion ? Deux dangers symétriques sont selon lui à éviter. La technocratie, où le peuple est réduit à l'incompétence, et la démocratie d'opinion où le peuple a toujours raison et doit se prononcer sur tout, à tout instant, immense porte ouverte à la démagogie, et bien sûr au populisme. Mais s'il est encore un plus grand danger, pose-t-il, c'est celui du culte de l'instantanéité et de l'égalité.

Toute action suppose un temps nécessaire de réflexion, d’action puis d’évaluation et pour certaines ce temps est très long. Il est des thèmes tels que l'environnement où ce volet est crucial. "Quel élu voudra prendre en charge la vérité, le risque et le temps long s’il est sans cesse soumis à la dictature d’une opinion prête à adorer aussi vite qu’elle déteste ?", interroge-t-il, en référence au fameux "dégagisme" théorisé par Jean-Luc Mélenchon et repris viralement.  

Enfin, affirmer l’égalité de droit des citoyens et de respect de tout homme ne signifie pas qu’ils ont tous les mêmes compétences. "Cela suppose la confiance faite aux représentants choisis. Le contrôle et la sanction de leur action viendront en leur temps. Sans cette confiance le peuple se rend ingouvernable". Le comble pour une démocratie qui, si elle n'y prend pas garde, pourrait devenir une dictature du nombre... et du pire.