Bénédicte SAINT-ANDRÉ

J.R Etchegaray : 'J'ai rencontré le Premier ministre au sujet du désarmement d'ETA'

Jean-René Etchegaray revient publiquement sur son entretien avec Bernard Cazeneuve, le Premier ministre français, au sujet du désarmement d'ETA, le 20 mars dernier. Une rencontre qu'il juge positive. L'interview du président de l'agglo Pays Basque a été réalisée avant sa réunion avec Iñigo Urkullu, Uxue Barkos et Ram Manikkalingam, coordonnateur de la CIV.

Jean-René Etchegaray © Bob Edme
Jean-René Etchegaray © Bob Edme

Vous avez rencontré Bernard Cazeneuve le 20 mars dernier, à Pau, au sujet du désarmement d'ETA. Un entretien de vingt minutes durant lequel vous avez plaidé pour que l'Etat français s'engage dans le processus. Qu'en est-il ressorti ?

J-R.E : J'ai effectivement rencontré le Premier ministre à ce sujet. La sénatrice Frédérique Espagnac qui, faut-il le rappeler, a l'oreille de François Hollande, le président du Conseil régional socialiste Alain Rousset et le préfet des Pyrénées-Atlantiques Eric Morvan, ancien directeur adjoint du cabinet de Bernard Cazeneuve, étaient également présents. Tous ont, je dois le dire, joué un rôle de facilitateur dans cet entretien.

Et j'ai senti de la part du Gouvernement français une volonté réelle de faire avancer les choses. Si l'entretien avait été négatif, mon intérêt aurait été de le dire. Ce n'est pas le cas. Le Premier ministre a manifesté de l'écoute, de l'intérêt, une connaissance et une sensibilité sur le sujet.

Qu'il ne partage pas avec son ancien ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux ?

J-R. E : C'est certain. Son ancien ministre de l'Intérieur a pris des positions, je le dis, assez dommageables. Qui sont celles de quelqu'un resté peu de temps en poste et ne connaissant pas le dossier. Bernard Cazeneuve en revanche a été ministre de l'Intérieur dans des moments majeurs pour ce territoire. Je l'ai rencontré à deux reprises sur la question de l'EPCI et j'ai déjà à ce moment-là pu profiter d'une oreille attentive.

A l'issue de cet entretien, Bernard Cazeneuve s'est exprimé publiquement, appelant à une restitution des armes "dans le respect rigoureux des règles de l'Etat de droit"...

J-R. E : Tout à fait, et je fais une lecture positive de cette déclaration. On ne peut reprocher à un Premier ministre de rappeler l'Etat de droit. Je considère moi aussi que nous devons faire cela dans le respect des règles de notre pays. Et j'estime surtout que partant de là, les choses sont possibles.

L'Etat de droit, issu des Lumières, implique la séparation des pouvoirs. Autrement dit, le gouvernement ne peut intercéder en faveur du processus auprès de l'autorité judiciaire. Comment dès lors comprendre cette déclaration ?

J-R. E : Je suis juriste de formation. Le principe de séparation des pouvoirs que l'on doit à Montesquieu est en effet dans l'architecture même du droit. Mais - et c'est fondamental - le processus de paix n'est pas un processus qui nie l'Etat de droit. Il le conjugue avec le concept de justice transitionnelle.

Je m'explique. Dans la résolution de conflits qui ont un poids historique tel que le conflit basque - je rappelle que trois générations sont touchées- la justice transitionnelle permet la réconciliation et la reconnaissance des souffrances de part et d'autre. On ne parle pas là d'amnistie ou d'oubli. Le message, de la part du Gouvernement français également, est donc de dire qu'il n'y a pas de contradiction entre l'Etat de droit et la justice transitionnelle.

Mais ce n'est pas parce que le gouvernement considère que le désarmement peut se faire qu'il peut décider pour le compte de l'autorité judicaire de fermer les yeux sur ce qui se passera. A aucun moment d'ailleurs, il n'a été demandé de contreparties pour le compte de l'organisation.

Des contreparties politiques non, des garanties techniques si.

J-R.E : Oui et c'est ce sur quoi il faut que les Etats s'engagent, ce sur quoi le travail porte actuellement. Ces garanties profiteront à mon sens des deux côtés. Le but est quand même de récupérer des armes qui sont actuellement dans la nature. Leurs positions ne seront connues que des autorités judiciaires, seules à avoir la capacité de les prendre et de les mettre hors service. Et la Civ (Commission internationale de vérification) est dans ce cadre une interface extrêmement importante. Elle est d'ailleurs la première brique de la justice transitionnelle…

Outre la Civ, l'engagement des institutions, particulièrement du gouvernement basque, a été déterminant. Quand Jean-René Etchegaray dit soutenir le processus, le fait-il au nom de la Communauté d'agglomération Pays Basque ?

J-R E : Lorsque j'interviens sur ce sujet, je m'assure d'être en cohérence avec mes collègues élus de la Ville de Bayonne et de l'agglomération. En l'occurrence, je n'ai pas du tout le sentiment d'avoir une position en rupture avec la leur. Mais je n'engage pas les institutions dont je suis malgré tout le représentant.

Je suis président de l'agglomération depuis le 23 janvier. Les instances sont en train de s'installer. Je ne veux pas bousculer les consciences et rompre le contrat de confiance né du jour où presque 70% les élus du Pays Basque m'ont élu. En même temps, j'ai une conscience personnelle du moment que nous vivons et de la place que j'y occupe. Et j'estime que je ne peux pas faire moins que ce que je vais faire. J'ai accompagné ce processus, travaillé en tant que maire à ce qu'il n'y ait pas de débordement, et je serai présent le 8 avril, c'est évident.

Le gouvernement basque, de son côté, a indiqué que son rôle s'arrêtait le 8 avril, à 10h30, heure où débute la journée "officielle" du désarmement.

J-R.E : Ce qui m'importe, c'est que le gouvernement basque soit partie prenante du processus. Il m'importe peu de savoir s'il participe aux agapes qui pourraient suivre un moment majeur, une étape absolument nécessaire dans le processus de paix, tous les spécialistes le disent.

Il est important aussi de souligner que chacun se trouve aujourd'hui dans des situations différentes du côté nord et du côté sud. Les forces politiques ne sont pas dans la même situation du fait que les victimes d'ETA sont majoritairement au Sud. Pour autant, les choses n'ont jamais été aussi avancées. Jamais jusqu'à ce jour nous n'avons entendu ces mots-là de la part des deux gouvernements. 

Le gouvernement basque craint une récupération de l'événement par la gauche abertzale. Les "artisans de la paix", par les mots choisis, écartent pourtant cette éventualité. Ils veillent à ce que chacun puisse se retrouver dans ce processus, que personne ne puisse en sortir blessé.

J-R.E : Le gouvernement basque craint cela en effet. A mon avis à tort. Les "artisans de la paix" sont d'une très grande habileté. Je veux redire combien ils méritent leur titre. Ce sont des apôtres de la non-violence. Nous n'aurions pas affaire à des gens comme cela, je ne serais pas là à vous parler comme je le fais. Et je ne suis pas le seul, tout le monde l'a compris, et ce au plus haut niveau.

Le maître mot du scenario qu'ils proposent est la sobriété. Ils ne veulent pas faire de ce moment une fête, ni voir de perdant ou de gagnant. Le seul gagnant doit être la paix. Il y aura bien sûr toujours des gens pour être sur la photo, se glorifier si les choses se passent bien. Les "artisans de la paix" ne commettent pas cette erreur-là. Je ne la commettrai pas non plus.