Bénédicte SAINT-ANDRÉ

Amnesty International s'engage en faveur de la paix

Une délégation d'Amnesty International s'est rendue à Bilbo mercredi pour encourager un agenda commun pour les droits de l'homme, "pouvant être partagé et assumé par toutes les autorités, centrales comme basques". 

Présentation du rapport à Bilbo (ARGAZKI PRESS)
Présentation du rapport à Bilbo (ARGAZKI PRESS)

"Il est temps que les différentes forces politiques et autorités se penchent sur un agenda pour les droits de l'homme. Pour cette législature plus que tout autre, les partis sont obligés de dialoguer. Les victimes de l'ETA, des GAL et d'autres groupes armés, ainsi que les personnes torturées doivent être au centre de ce dialogue et le gouvernement central doit y participer activement", a déclaré Estaban Beltran, directeur d'Amnesty International Espagne.

L'organisation a par ailleurs présenté aux représentants de la Communauté autonome basque un rapport intitulé "Affronter le passé pour construire l'avenir" et rédigé dans le vocable de la justice transitionnelle. Elle reconnaît que "des initiatives positives de vérité et de réparation" ont été mises en œuvre au Pays Basque, auxquelles doivent participer les autorités centrales. "Jusqu'ici ces dernières ont ignoré certaines victimes et ont même entravées certaines des initiatives adoptées au Pays Basque".

Dans son rapport, AI attire aussi l'attention sur le manque d'informations au niveau de l'Etat espagnol concernant les violations commises par ETA. "Par exemple, d'après le bureau du procureur de l'Audiencia National, il y aurait douze affaires d'attentats commis par l'ETA pour lesquelles les familles ne sont pas informées de l'avancée des dossiers", a déclaré E. Baltran.

Un déni systématique de la torture

Le rapport dénonce également "l'impunité généralisée pour ce qui est des crimes commis par d'autres groupes armés", tels que les Groupes antiterroristes de libération (GAL) et le Bataillon basque espagnol (BVE), qui ont perpétré, en relation avec des fonctionnaires de l'Etat des attentats dans les années 70 et 80. Un rapport du gouvernement basque indique par ailleurs que 37% des affaires liées aux GAL ne seraient pas élucidées. Et il n'existe aucune donnée des enquêtes judiciaires relatives à 24 assassinats attribués au BVE ou à des groupes satellites dans les premières années de la démocratie espagnole.

Amnesty International dénonce une nouvelle fois le recours à la torture et aux mauvais traitements par les forces et corps de sécurité dans le cadre de la lutte anti-terroriste. "Il reste tout à faire pour le gouvernement central : l'Etat n'a pas même publiquement reconnu la pratique de la torture", rappelle Virginia Alvarez, chercheuse au sein de l'ONG. L'organisation indique que seule le gouvernement basque a encouragé des initiatives visant à obtenir des données sur le sujet, citant en exemple l'étude de l'Institut basque de criminologie.

Ses conclusions préliminaires, rendues en juin dernier, identifiaient 4 009 personnes déclarant avoir été victimes de tortures ou de mauvais traitements entre 1960 et 2013. La Cour européenne des droits de l'homme a par ailleurs condamné l'Espagne à sept occasions depuis 2010 pour "ne pas avoir mené d'enquêtes efficaces et approfondies concernant des allégations de tortures par les forces de sécurité durant la mise au secret".

Législation antiterroriste et politique pénitentiaire

AI réclame des "modifications substantielles" concernant la législation antiterroriste, maintenue depuis maintenant 40 ans. "La définition d'infraction terroriste est si vague et imprécise qu'elle peut entraîner la violation de certains droits, notamment la liberté d'expression", pointe-t-elle. L'organisation demande par ailleurs la fin de la dispersion, qui va à l'encontre des normes internationales.

Le soutien d'Amnesty International est un soutien important en faveur de la paix au Pays Basque. L'ONG s'est exprimée par deux fois depuis la fin définitive de la lutte armée. Une première fois en 2011 pour saluer cette décision et une seconde fois en 2016 pour interpeller les candidats aux élections autonomiques sur la question des droits humains. Mais la rédaction d'un rapport ainsi que la remise d'un agenda aux autorités vont cette fois plus loin. Cette organisation, dont l'expertise et la crédibilité sont reconnus par de nombreux gouvernements vient renforcer le poids des acteurs internationaux dans le processus de paix, estimé par certains comme phagocyté par la gauche abertzale.

 

 

 

Les six points de l'agenda, remis à tous les partis politiques représentés au Parlement basque et à Iñigo Urkullu, président du Gouvernement basque ainsi qu'à Madrid dans les prochaines semaines :

1) Garantir entièrement l’accès à la vérité, à la justice et à la réparation pour toutes les victimes d'ETA et d’autres groupes armés, notamment les victimes des GAL et du BVE. Les attentats non élucidés perpétrés par ETA doivent faire l’objet d’une enquête judiciaire. 


2) Garantir l’accès à la vérité, à la justice et à la réparation pour toutes les victimes de tortures et autres mauvais traitements, et demander aux autorités basques et centrales de reconnaître publiquement les préjudices causés par la torture et autres mauvais traitements dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. 


3) Veiller à ce que toutes les violations commises par des agents des forces de sécurité fassent l’objet d’une enquête appropriée. Pour cela, un audit externe des mécanismes d’enquête internes doit être réalisé et des mécanismes indépendants d’enquête pour les graves violations des droits de l’homme doivent être mis en place. 


4) Continuer de faire progresser les initiatives déjà mises en œuvre au Pays basque pour la systématisation de toutes les informations disponibles concernant les violations des droits de l’homme commises durant cette période. Le gouvernement central doit également recueillir des données détaillées des violations commises. 


5) Réviser la législation antiterroriste (code pénal et code de procédure pénale) pour l’adapter aux normes internationales relatives aux droits de l’homme ; et mettre un terme à l’isolement cellulaire des détenus. 


6) S’assurer, par la révision de la politique pénitentiaire actuelle du gouvernement central, que les prisonniers et les prisonnières peuvent purger leur peine près de leur lieu d’ancrage, si cela est possible et s’ils le demandent individuellement comme le prévoient les principes des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme de détention ou d’emprisonnement, ainsi que la jurisprudence répétée à ce sujet de la Cour européenne des droits de l’homme.