Bénédicte Saint-André

Prisonniers basques et djihadistes, même combat ?

D'anciens et actuels détenus basques sont désormais inscrits aux côtés de djihadistes dans un fichier visant à prévenir les infractions terroristes. Avec les mouvements droits-de-l'hommiste du territoire, ils condamnent un amalgame insupportable. 

Clara Rouget, Anne-Marie Michaud et Christophe Desprez. © Isabelle Miquelestorena
Clara Rouget, Anne-Marie Michaud et Christophe Desprez. © Isabelle Miquelestorena

Ramon Arano a été condamné à huit ans de prison pour appartenance à ETA. Il a purgé sa peine et a été libéré en 2010. Le 9 août dernier, il était convoqué à la gendarmerie. "Des gendarmes mal à l'aise m'ont expliqué que j'étais susceptible de me radicaliser dans le djihadisme", raconte-t-il.

L'homme tombe des nues alors que les gendarmes lui notifient son inscription sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT). "Le gouvernement français se vante de surveiller 15.000 personnes susceptibles de se radicaliser. Si sa seule stratégie pour combattre Daech est de priver les Basques ou les Corses de liberté, c'est dramatique".

Ce fichier, placé sous l'autorité du ministre de la Justice, est entré en vigueur en juillet dernier dans le cadre de la loi sur le renseignement. Il vise à "prévenir le renouvellement des infractions à caractère terroriste" et avait été annoncé en janvier 2015 par le gouvernement à la suite des attentats de Paris. D'où peut-être la lecture biaisée des gendarmes lors de la convocation de Ramon Arano.

Restriction des libertés

Les personnes fichées doivent se rendre tous les trois mois pointer à la gendarmerie, déclarer tout changement d'adresse et prévenir de tout déplacement à l'étranger au moins quinze jours avant. Le tout pendant dix ans. "Nous vivons à dix kilomètres de la frontière. Nous allons au Pays Basque sud pour notre travail, voir notre famille, c'est ingérable".

Pour l'heure, 37 actuels détenus basques ainsi que sept anciens prisonniers se sont vus notifier leur inscription sur ce fichier. La mesure est en effet rétroactive pour les personnes condamnées avant la promulgation de la loi. Les autres se verront appliquer ces obligations à leur sortie de prison. "Cette restriction de la liberté d'aller et venir est justifiée par le gouvernement par sa lutte contre le terrorisme islamiste. L'appliquer à des prisonniers politiques basques n'a aucun sens", dénonce l'avocate Clara Rouget.

Recours rejetés

Les personnes condamnées pour des infractions terroristes sont-elles inscrites de facto sur ce fichier ? Y a-t-il une volonté délibérée de porter atteinte au processus de paix ? Les militants s'interrogent. Joint par MEDIABASK, la section antiterroriste du parquet de Paris indique néanmoins que l'inscription n'est pas automatique mais soumise à l'appréciation du parquet. Elle refuse de se prononcer sur le nombre de prisonniers basques concernés, "ces données étant confidentielles". 

Cinq recours ont d'ores et déjà été déposés par les avocats des prisonniers basques pour demander l'annulation de la mesure. Quatre ont été rejetés par les juges des libertés et de la détention, le dernier étant en cours de traitement. S'agissant de Ramon Arano, la juge a fait valoir "qu'en dépit de la déclaration de cessation de son activité armée, ETA poursuit ses activités illégales des deux côtés de la frontière, qu'elle s'est refusée à restituer l'arsenal dont elle dispose, que de nombreux militants se maintiennent dans la clandestinité et que ces éléments démontrent que cette organisation peut reprendre à tout moment ses activités".

Mesure anachronique au regard du processus de paix

Anne-Marie Michaud du Comité de défense des droits de l'homme au Pays Basque dénonce un amalgame qui entraîne des confusions inacceptables dans les esprits et une régression grave du processus de paix. Avec la Ligue des droits de l'homme et un collectif d'anciens prisonniers basques, elle demande instamment que les détenus basques concernés soient retirés de ce fichier. 





Pour en savoir plus :

Les fichés sont également automatiquement enregistrés au fichier des personnes recherchées (FPR) pendant toute la durée de leurs obligations, afin de faciliter d’éventuelles recherches.

Le fichier est accessible aux services de police, de gendarmerie et de renseignement, mais également aux directions de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, aux représentants de l'État dans les départements, à certaines administrations ainsi qu'aux rectorats et à la direction des ressources humaines de l'Éducation nationale et de l'enseignement.

Les données sont conservées pendant 20 ans, dix ans pour les mineurs, mais si la condamnation entraînant l'inscription au fichier comprend une incarcération, les délais ne commenceront à courir qu'à partir de la libération.

Le non-respect des obligations constitue un délit passible de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende.