Iurre Bidegain et Ximun Larre

Le processus de paix a-t-il avancé depuis la déclaration d'Aiete ?

Il y a cinq ans, le 17 octobre 2011, les participants à la Conférence internationale pour une résolution de paix au Pays Basque, réunis au palais d'Aiete à Donostia, rendaient publique une déclaration en cinq points. De nombreux acteurs politiques et sociaux du Pays Basque Sud et Nord avaient alors soutenu la démarche. Le premier point de la déclaration concernait la fin de la lutte armée et ETA en annonça l'arrêt définitif trois jours plus tard.

 Le palais d'Aiete, ancienne résidence d'été de Franco ©Raul BOGAJO-ARGAZKI PRESS
Le palais d'Aiete, ancienne résidence d'été de Franco ©Raul BOGAJO-ARGAZKI PRESS

Parmi les nombreux participants à la conférence d'Aiete se trouvaient la sénatrice socialiste Frédérique Espagnac, la porte-parole d'EH Bai Anita Lopepe, le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray et la porte-parole de Bake Bidea Anaiz Funosas. Cinq ans après nous leur avons posé cette question à eux et à la députée Sylviane Alaux (PS) : 

Le processus de paix a-t-il avancé depuis la déclaration d'Aiete ?

Frédérique Espagnac (sénatrice, PS) : "Le processus de paix a avancé mais pas suffisamment. Il a avancé quand même avec le communiqué d'ETA, trois jours plus tard, et cet engagement qui depuis a tenu. C'est aussi l'ensemble du processus qui se met en route, tant en Pays Basque Nord qu'au Sud. Depuis, nous avons eu la déclaration de Bayonne. Il y a eu [la conférence humanitaire pour la paix au Pays Basque] à Paris. Avec Lokarri et Bake Bidea, nous, élus, avons été engagés parmi les acteurs. Mais c'était à leur initiative et il faut leur rendre hommage.

Suite à cela il y a eu deux points importants. L'évolution institutionnelle d'abord, qui a fait que les choses n'ont pas évolué sur d'autres thématiques, avec un agenda législatif qui s'est imposé à nous, la loi NOTRe en particulier. Ce n'est pas encore la collectivité à statut particulier que nous souhaitons tous, mais c'est une première étape qui était loin d'être gagnée au moment d'Aiete.

Sur la question sensible des prisonniers : pour certains, les choses n'ont pas bougé, mais elles ont bien bougé. Des discussions ont eu lieu, qui n'ont pas vocation à être publiques car elles doivent se faire en confiance. Elles ont fait évoluer la situation. Suite à certaines arrestations, même si des personnes font l'objet de procédures judiciaires, beaucoup ont été libérées. Comme ce fut le cas pour les événements d'Ossès, par exemple. Avant 2011, cela n'aurait pas eu lieu.

Il y a aussi l'officialisation de ce qu'est devenu le processus de paix, avec l'intervention de différents parlementaires de droite comme de gauche à l'Assemblée nationale ou au Sénat, avec des interventions sur les prisonniers, notamment. Si les Etats ne le reconnaissent pas, nous, société civile et élus, l'accompagnons et nous avons réussi à l'installer. Le processus de paix est indispensable pour enfin tourner une page dans l'histoire du Pays Basque".

Anita Lopepe (EH Bai) : "Si l'on considère le processus comme ce qui doit nous amener vers la paix, oui, il y a eu des avancées. Au Pays Basque même, de grands pas ont été faits entre personnes de sensibilités différentes pour mettre en œuvre ce besoin de paix et les moyens pour y parvenir. De grands pas ont été faits également autour des conséquences du conflit pour parvenir à une ample mobilisation. Dans ce sens, il y a eu des avancées.

Dans le processus de paix, la volonté des deux parties doit se réunir, et à ce niveau il faut constater qu'il existe un incroyable blocage. L'actualité nous montre à quel point la position des Etats est irresponsable. Le chemin qui va vers la paix ne doit pas s'arrêter là, en particulier parce que la stratégie prise par la gauche abertzale ne se mène pas seulement en fonction de ce que font les Etats.

Les forces du Pays Basque veulent s'unir autant que possible, des pas ont été faits bien qu'il reste encore du chemin à faire dans ce domaine aussi".  

Jean-René Etchegaray (maire de Bayonne, UDI) : "[Le processus de paix] n'a avancé que sur le premier des cinq points de la déclaration d'Aiete, l'arrêt de la lutte armée de l'ETA étant constatée dans les jours qui ont suivi. Les points suivants qui étaient, eux, de la responsabilité des Etats français et espagnol, n'ont donné aucune suite. Tout ce qui concerne la question du rapprochement des prisonniers, le traitement des prisonniers malades en particulier ou la question des victimes, rien de tout cela n'a donné de suite. Malheureusement, ça n'a pas avancé car dans chaque déclaration, il y a une démarche contractuelle. Le processus de paix est un processus d'acteurs, un processus d'action et s'il n'y a pas de volonté de la part des Etats d'entrer dans le processus, ça ne mène à rien".

Sylviane Alaux (députée PS) : "Le processus de paix n'avance pas aussi vite que l'on voudrait, il y a pourtant une chose bien admise par tout le monde c'est qu'ETA a arrêté la lutte armée. Je déplore que Paris et Madrid s'obstinent et ne comprennent pas qu'il est un véritable enjeu de société. Donc, le processus de paix évolue peu ou pas. Je le regrette parce qu'ici le territoire a besoin de tourner définitivement la page de la violence et je trouve déplorable que Paris et Madrid n'entendent pas cette demande, cette volonté. Pourtant il y aura bien un moment où il faudra qu'on se retrouve tous ensemble autour d'une table pour discuter de tout cela".

Anaiz Funosas (Bake Bidea) : "Deux points de vue sont à souligner. Du côté des Etats, les pas nécessaires sur le chemin du dialogue, pour trouver des solutions, ne sont jamais survenus.
La posture des deux Etats n'a pas bougé depuis Aiete, c'est-à-dire nier le pari réalisé ce jour-là, ce moment historique. Nier aussi les pas réalisés par l'organisation et la voie du dialogue qui a été ouverte. Il est vrai que l'actualité récente l'a confirmé à nouveau, je fais référence aux armes découvertes du côté de Paris : au lieu d'organiser le désarmement dans le consensus, ils poursuivent toujours sur la voie policière.

D'un autre côté, oui, il y a eu des avancées incroyables. On a jamais autant parlé des sujets qu'il faut régler que durant ces cinq ans. Même s'il existe des désaccords pour ce qui est des conséquences, il existe une grande volonté. Je dirais qu'une grande partie de la société et des acteurs politiques veut mener ce processus jusqu'au bout. Il est clair que le désarmement doit avoir lieu de manière organisée, il faut aussi oeuvrer au retour des prisonniers et des exilés, de même pour ce qui est de la reconnaissance des victimes.

Il y a ces deux aspects : d'un côté ce que les Etats ne font pas et de l'autre, portée par la société, il y a cette envie d'oeuvrer en faveur de ce processus. En ce qui concerne la paix, la résolution doit être impulsée par le territoire, cela n'a jamais été aussi clair qu'aujourd'hui. Cela n'a pas avancé comme on le voulait mais des conditions sont depuis apparues pour trouver des solutions depuis la Pays Basque et pour bâtir le processus de paix à partir du consensus le plus large".