Justine Giraudel

A l'aube des Etats-Unis Latinos

Aux Etats-Unis, une révolution démographique est en marche. Celle des Latinos, des "citoyens de seconde zone" devenus faiseurs de rois. Dans le cadre de la 25e édition du festival Biarritz Amérique Latine, le documentaire de Roxanne Frias nous plonge au coeur de cette communauté en passe de bouleverser le paysage nord-américain.

La révolution Latina est en marche aux Etas-Unis. © DR
La révolution Latina est en marche aux Etas-Unis. © DR

55 millions d'américains sont Latinos. Dans 35 ans, ils seront 100 millions soit un américain sur trois. Toutes les 30 secondes, un latino fête ses 18 ans soit 66 000 par mois. Une richesse incommensurable pour le pays à l'heure où le candidat républicain fait des attaques anti-immigration son fond de commerce.

Roxanne Frias, réalisatrice du documentaire "Quand l'Amérique sera latine" co-produit par ARTE, est américaine et née de parents mexicains. Elle a parcouru les Etats-Unis de la Californie au Middle West, des écoles aux épiceries, à la rencontre de celles et ceux passés de pion à pièce maîtresse de l'échiquier politique américain.

En 2015, les Etats-Unis comptaient 52 millions d'hispanophones – contre 46 dans l’État espagnol. Dans l'Iowa, les Grandes Plaines ou le Middle West, les Latinos s'installent en quête de travail, repeuplent et sauvent les villes, désertées. En 30 ans, la Californie est devenue hispanique et en 2013 les Latinos et les Blancs atteignaient la stricte parité – représentant chacun 39 % de la population. Dans certains districts de cet état 5ème puissance économique mondiale ils atteignent les 97 %, et il est aussi aisé de s'y s'exprimer en espagnol qu'en anglais. Au-delà d'une réalité communautaire, ces chiffres illustrent les enjeux futurs d'une population encore largement discriminée malgré sa position majeure dans l'économie du pays et dont la puissance ne fera que croître.

Los Mandados, de Vicente Fernández

Dans les années 40, témoigne la réalisatrice, parler espagnol était interdit dans les écoles des quartiers mexicains de Californie et les élèves se voyaient refuser l'entrée à l'université. Outre-Atlantique, l'année 68 s'est jouée au mois de mars lorsqu'ont éclaté les premières manifestations contre un système inégalitaire et raciste. Aujourd'hui, les jeunes Latinos se forment, à l'image de ce groupe désireux d'étudier la médecine pour pallier le manque de praticiens capables d'interagir en espagnol avec le patient.

Les Latinos : la clé politique

Aujourd'hui, 11 millions de Latinos sont sans-papiers et 5 millions d'enfants vivent dans l'illégalité. Une question politique cruciale, les politiques ne s'y sont pas trompés. Mais certains s'y cassent les dents.

Chez les Démocrates le discours se veut rassembleur à la veille de l'élection du nouveau président. "Je poursuivrai ce que le président Obama a entamé pour protéger les Dreamers (les enfants sans papiers) et leurs familles. Je me servirai de l'exécutif pour lutter contre les extraditions, promet Hillary Clinton au cours de sa campagne. Je l'ai déjà dit : Si nous ne pouvons pas obtenir les réformes appropriées sur l'immigration afin qu'ils obtiennent la citoyenneté américaine ce qui stimulerait notre économie, j'irai aussi loin que possible..." Les 55 millions de Latinos, et notamment les jeunes, sont devenus un véritable "cadeau" pour la société américaine en permettant au système de retraites d'être pris en charge par les actifs.

Et pourtant. En 2016, deux Latinos ont tenté la course aux présidentielle : Marc Rubio et Ted Cruz, tous deux dans le camp des Républicains. Mais leur discours anti-immigrés a conduit à leur perte. Donald Trump, quant à lui, ne cesse de multiplier les provocations et a fait de son mur séparant le pays de son voisin mexicain son cheval de bataille.

"Quand le Mexique nous envoie ses gens, il ne nous envoie pas les meilleurs. Il n'envoie pas des gens comme vous, mais des gens avec beaucoup de problèmes. Des problèmes qu'ils apportent avec eux : le drogue, le crime, le viol", déclarait-il en meeting.

Donald Trump, de Luis Mendez. Le chanteur répond en musique au candidat républicain, "we are not criminals".

Lundi 26 septembre, au cours du débat qui les opposait, sa concurrente a posé sur la table un vieux dossier dont l'impact pourrait s'avérer fatal pour celui qui a semé et récolté la haine des Latinos du pays. En 1996, la vénézuélienne Alicia Machado remportait le titre de Miss Univers – l'aura des "Miss" auprès des américains est de notoriété publique. Pour avoir pris quelques kilos, la jeune femme a reçu de la part du candidat le sobriquet de "Miss Piggy" (truie, en anglais) et "Miss Housekeeping" (femme de ménage). De quoi contribuer à faire aussi chuter les voix de Trump auprès des femmes.

La fin de la suprématie blanche

Pour William H Frey, démographe interviewé par R. Frias, "les hommes politiques qui prônent les vieilles valeurs anti-immigration, qui disent que ce pays est à majorité blanche et qui attisent la peur des nouvelles minorités raciales ne font que s'accrocher à une stratégie qui a marché pendant des décennies. Mais ils ont des oeillères. Ça peut marcher encore pour une ou deux élections mais pas plus." Trump est certainement le dernier candidat à partir en campagne en faisant fi des voix des Latinos.  

La révolution en marche aux Etats-Unis sonnera-t-elle le glas de la suprématie des "hommes vieux et blancs" ? On peut l'espérer. Et souhaiter qu'elle traverse l'Atlantique.