Bénédicte Saint-André

Eklektika : on fait le bilan, calmement

L'interface Eklektika fête ses deux ans. Ton incisif, réflexion douce-amère et solides références, elle a imposé sa voix dans le paysage culturel local.

La directrice du théâtre Quintaou et l'équipe d'Eklektika : Maxime Cavoisy, Ramuntxo Garbisu et Cédric Duplessis. © Isabelle Miquelestorena
La directrice du théâtre Quintaou et l'équipe d'Eklektika : Maxime Cavoisy, Ramuntxo Garbisu et Cédric Duplessis. © Isabelle Miquelestorena

Quand on rencontre Ramuntxo Garbisu pour faire le bilan des deux années passées à la tête d'Eklektika, il revient du Maroc. Le pays où on a le temps, dit-il. "Ici, c'est impossible". On peine à le convaincre que tel est le propre du voyage. Puis on prend un café, long. L'homme aime les digressions.

La genèse du projet : Eklektika est né le 11 septembre 2014, d'un pari sur le foisonnement  de la culture locale. "Depuis deux ans, on écrit entre cinq et dix articles par semaine". Auxquels il faut ajouter l'incontournable agenda, miroir son beau miroir de la richesse du cru. 800 dates sur une année "où on avait envie d'aller". D'Hendaye à Ondres, en passant par Pau et jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port. Grande absente la Soule, faute de moyens.

La patte de la maison : Lui la résume en une formule (il en a le sens), "la pertinence et l'impertinence". On ajouterait le goût de l'improbable et un esprit critique qui furète partout. La polémique de la foire aux jambons c'était eux, la fausse annonce de la mort de Michel Sardou avant les fêtes encore eux. Les gens aiment ou détestent. "Mais pour qu'on nous déteste autant, on se dit qu'on a dû bien travailler".

Le modèle économique : En 2015, le site compte jusqu'à dix contributeurs. "Ils rentrent, ils annoncent Eklektika, et font un papier". Aimé ou pas aimé. Et surtout, si ça ne mérite ni l'un ni l'autre, ils n'écrivent rien. Mais fin 2015, faute de résultats sonnants et trébuchants cessent les contributions, hormis celles de Frédéric Verbeke et de Kattalin Dalat (notre coup de cœur). Raison invoquée, un besoin irrépressible d'écrire, d'ailleurs palpable entre les lignes.

Le pari sur l'avenir : Etre suffisamment reconnu pour que les institutions et les acteurs culturels diffusent leur com' sur le site. Et acceptent néanmoins de pouvoir être critiqués. Beaucoup de temps mais de l'argent en perspective. Un jour, on lui fit cette remarque bienveillante : "tu es un looser, tu ne rapportes rien". Pourtant c'est clair, si l'on considère cela uniquement comme un travail, on a loupé le métier.

La dernière grosse claque : Le concert des Chemical Brothers, au Big Festival, "chez les gens pour qui tout est facile". Le plus beau concert de sa vie. Et quand il aime, il n'est pas avare d'adjectifs : "Impensable, fantastique, total". Une emphase difficile à porter. "Les gens aiment quand ça pique. On avait beaucoup critiqué le Big, on nous attendait sur ce terrain. Mais on a aimé, on a trouvé ça cohérent et on l'a écrit." Et ils se sont fait beaucoup critiquer… Un seul bémol, le prix du préservatif (oui, oui), et le prix du festival d'ailleurs.

Le lieu des lieux : Le théâtre Quintaou à Anglet. "On l'a défendu depuis le début, contre le vent".  Ils trouvent le bâtiment magnifique et l'équipe géniale. C'est d'ailleurs l'endroit choisi pour Pop Terrasse #2, l'événement musical d'Eklekika himself, le 3 septembre prochain. Un regret néanmoins, le lieu est sous-programmé avec quatre mois de pause estivale et la petite salle ne sert quasiment pas.

La déception qui ne passe pas : Kulture Sport à Bayonne. "On est ravi que ces malfaiteurs aient quitté la région. On avait pourtant pris le temps de les rencontrer. Ils étaient hors-sol. Forcément quand tu proposes une soirée Rocky 1, Rocky 2, Rocky 3, ça ne le fait pas. Ce fut un scandale financier, politique, culturel. D'ailleurs, le coup de gueule est général sur l'ensemble de l'année 2015. On a perdu les Translatines et le Black & Bask". Après ça, on comprend pourquoi les relations avec la Ville de Bayonne ne sont pas particulièrement au beau fixe.

Le coup de gueule de la rentrée : le film allemand "Toni Erdmann" de Maren Ade, vendu comme le prix du public à Cannes. "Au début, un chien meurt, mais on n’avait pas réellement retenu son nom de toute façon. Et à la fin, une grand-mère suit le mouvement, mais on n’avait pas fait connaissance plus que ça". Du Garbisu dans le texte. Voyez plutôt "Dans les forêts de Sybérie" de Safy Nebbou.

Le moment de grâce : La compagnie Hecho en Casa et leur Cyrano. "Ils sont d'un niveau qu'on a très rarement vu dans la région". Eklektika les suit depuis les premières répèt. Ils ont été programmés au festival off d'Avignon et affichent 350 représentations au compteur. "Là on s'est vraiment senti à notre place, quel plaisir de les voir éclore". Et devinez quoi ? "Bayonne ne leur a rien proposé pour l'instant. C'est n'importe quoi. Qu'ils restent au Pays Basque, on en a besoin, mais qu'ils partent de Bayonne".

Le fiasco de Donostia 2016, capitale européenne de la culture : Eklektika avait dédié une page à l'événement. En fait, une série de non-événements. "Ils se sont trompés sur la symbolique de la paix. On s'attendait à une attractivité européenne, et en réalité certaines personnes sont revenus de Donostia sans même s'apercevoir de DSS 2016. Les organisateurs ont le droit de réfléchir à ça, mais nous on arrête". Les grandes expos de Bilbo elles sont jugées passionnantes.

La culture web : Un tour sur les réseaux suffit à sentir le lien qui les unit aux lecteurs. Ça réagit, ça échange des coups de cœur, ça chambre. "Sur internet, tu t'adresses à une personne. Tu peux presque la tutoyer. On écrit avec cette intimité là". Résultat: 7000 pages vues par semaine, dont 14% de parisiens, la diaspora. Pas mal pour des papiers longs et lus jusqu'à la dernière ligne. Soit deux minutes en moyenne, autant dire une éternité pour le net. Toi qui es encore là, si tu allais faire un tour sur Eklektika