Propos recueillis par Bénédicte Saint-André
Elkarrizketa
Patricia Dao
Romancière, journaliste, poétesse

"C'est dans l'opposition que le citoyen se révèle à sa juste valeur"

Patricia Dao a le regard profond, le port altier et des cheveux de jais. Elle a la lutte et la passion des mots chevillées au corps. Romancière, journaliste et poètesse, elle a fondé la maison d'éditon militante Tim Buctu. Nous l'avons rencontré au forum des grands projets inutiles et imposés. Elle nous a présenté ses livres et ses combats. Envers et contre tout. 

Patricia Dao © Bob Edme
Patricia Dao © Bob Edme

Il est une lutte fondatrice dans votre parcours. Pouvez-vous nous en  parler ?

Patricia Dao : J'ai en effet eu la chance de vivre dans la Vallée Bormida, en Italie qui s'est battue pendant 117 ans, donc quatre générations, contre une usine qui polluait sa rivière. J'ai  lutté pendant les dix dernières années. Et nous avons gagné. La rivière est aujourd'hui redevenue d'une beauté incroyable.

Nous étions plusieurs journalistes à enquêter pour comprendre ce qu'il y avait derrière tout cela. C'est une usine d'Etat qui est née en 1882 dans une vallée de paysans. Au départ, pour produire des explosifs, puis au fil du temps des colorants, des pesticides et également des produits destinés aux armes chimiques. Nous avons travaillé avec plusieurs parlementaires et même si de nombreuses interrogations demeurent, cette affaire-là a pu être conclue par des magistrats italiens. La corruption des dirigeants a pu éclater au grand jour et ils ont fini en prison.

De cette première lutte, vous avez fait un roman et une maison d'édition…

P.D : Au départ j'ai fondé la maison d'édition Tim Buctu pour publier une grande poétesse italienne dont je suis la traductrice et qui s'appelle Alda Merini. Puis l'histoire et les rencontres ont fait le reste. En 2012, j'ai écrit un premier roman "Bormida" qui retrace ces 117 ans de lutte, à ma manière. J'ai alors été invitée dans la Vallée de Susa, au nord de l'Italie où est né le mouvement No Tav (opposé à la LGV Lyon-Turin ndlr).

A un salon du livre, José Bové était présent et je lui ai posé une question à ce sujet, à laquelle il a répondu très brillamment. Une amie m'avait filmée, nous l'avons mis sur Youtube et les gens de la partie française m'ont appelée. J'ai ainsi rencontré l'économiste Daniel Ibanez et je l'ai beaucoup poussé à écrire un livre sur ce projet de LGV. Il est très important de partager ces informations. Les journalistes sont importants mais parfois ils ne sont pas suffisants.

Vous êtes aujourd'hui entourée de livres. Ces luttes ce sont autant d'histoires à raconter ?

P.D : D'abord, on n'écrit pas un livre pour écrire un livre. Il faut qu'il soit bien écrit, incarné. Daniel Ibanez a très bien réussi cela. Françoise Verchère avec "Notre-Dame-des Landes : la fabrication d'un mensonge d'Etat" également, nous l'avons publiée.

Ces livres sont réussis parce qu'ils racontent des histoires dans lesquelles chacun peut se reconnaître. Chacun doit pouvoir s'identifier. Il ne faut pas écrire l'histoire de quelqu'un d'autre. Le récit doit être habité, le lecteur doit pouvoir se dire je vis ou j'ai vécu la même chose. Voilà pour aujourd'hui, mais les livres sont aussi pour demain. Parce que quel que soit le résultat, même si les opposants perdent, il restera une trace. Les générations futures sauront que des gens ont lutté, lutté, lutté, inlassablement. Qu'ils ont utilisé toutes les formes démocratiques possibles pour s'opposer.

Dans notre société, l'opposition a parfois mauvaise presse. Elle est envisagée par certains comme étant contraire à la notion de progrès. 

C'est pourtant tout le contraire en réalité. La lutte est un progrès pour nos sociétés. Ce qui est très intéressant dans ces combats est de voir à quel point le citoyen redevient citoyen. Au sens noble. C'est à dire que c'est lui le garant de la Constitution et pas ceux qui sont élus. Le vrai pilier de la démocratie est le citoyen. Et c'est quand il est dans cette action d'opposition, qui lui est imposée par la réalité crue, qu'il se révèle à sa juste valeur. Et tous ces mouvements posent la question centrale de la constitution.

Question également centrale de "Droit de résistance", le dernier ouvrage de Michelle Marchesellio, que vous venez de traduire.  

P.D : Tout à fait. Michelle Marchesellio est un magistrat italien. Il n'y a pas plus intègre que lui. Dans cet ouvrage, il pose la question du droit de résistance dans les constitutions française, italienne et américaine. C'est un livre passionnant, qui justifie profondément toutes les luttes. Et explique pourquoi il y a cette détermination et cette profonde paix intérieure même dans les agissements.

Quand on voit que l'état d'urgence sert à entraver les mobilisations de la Cop 21, il y a là clairement quelque chose qui ne va pas à la tête de l'Etat. A ce moment-là, il n'y a que le citoyen qui puisse assurer la notion de démocratie que l'Etat est censé signifier. Cette question est complexe mais éminemment puissante.

La lutte peut également être jugée romantique, utopique. 

Prenez Notre-Dame-des-Landes par exemple, c'est 50 ans d'histoire et d'opposition, 50 ans d'études bel et bien basées sur du réel. Et en face vous avez des élus qui tous les trois ans défilent, jouent les savants mais sont incapables de répondre à une seule question précise sur le dossier. Et ça c'est extrêmement tragique. Le déséquilibre est aujourd'hui tel que se pose la question non seulement de la construction de l'aéroport mais également celle de la légitimité d'un pouvoir qui n'a pas les tenants et les aboutissants d'un projet qu'il impose.

Et c'est un dénominateur commun à tous les combats présents aujourd'hui. Je crois que les politiques ne se rendent même pas compte qu'ils sont en train de déclencher quelque chose d'extrêmement beau. Un moment de grâce du citoyen, qui l'oblige à s'élever.