Bénédicte Saint-André
Elkarrizketa
Caroline Phillips
Présidente du Conseil de développement du Pays Basque

"Aujourd'hui, la France n'est pas un millefeuille mais un dix-mille feuille"

Caroline Phillips se présente comme présidente du Conseil de développement du Pays Basque, chef d'entreprise et musicienne. Personnalité un brin "show-off", c'est la plus basque des anglo-saxonnes ou bien l'inverse. Membre du Conseil de développement depuis 2004, elle le préside depuis février 2015. Point d'étape à l'aube d'une refonte de la carte intercommunale et après l'opération "Pays Basque, Cap sur Paris". Le 5 février dernier se réunissaient en effet le monde économique basque, Emmanuel Macron et Benito Lertxundi au Trianon, à Paris.

Caroline Phillips consacre l'équivalent d'un mi-temps à la présidence du Conseil de développement. © DR
Caroline Phillips consacre l'équivalent d'un mi-temps à la présidence du Conseil de développement. © DR

Pourquoi avoir eu besoin de se "délocaliser" avec l'opération "Pays Basque, cap sur Paris"    ?

C.P : Pour faire parler du Conseil de développement. On travaille dans l'ombre. C'était une opération de communication mais aussi une opportunité d'échanger, entre chefs d'entreprise, les parlementaires Colette Capdevielle et Frédérique Espagnac, le ministre de l'Economie. Et de parler des actions de la société civile et du projet de la grande intercommunalité que l'Etat nous propose.

Nous avons beaucoup de membres. C'est un avantage et un inconvénient. Car, en dehors de nos membres, on ne communique pas forcément. On reste en vase-clos. Il faut s'ouvrir, se nourrir des autres, de ce qui se fait ailleurs et montrer notre modèle. Pour les gens ce que nous faisons n'est pas forcément très lisible. Comprendre comment la France est structurée n'est pas chose aisée. Comprendre l'intérêt d'avoir un parlement de la société civile n'est pas évident pour tout le monde.

Qui a organisé l'événement ?

C.P : L'initiateur de "Pays Basque, cap sur Paris" est un privé, Jean-François Duprat, qui a l'agence évènementielle AVEC. Il organisait un concert de Benito Lertxundi, dans un lieu mythique de Paris, le Trianon dans le 18ème. Devant louer la salle toute la journée, il a imaginé une journée avec des entreprises du Pays Basque, lui-même étant entrepreneur ici. J'ai été contactée en tant que chef d'entreprise et parce que nous représentons le secteur économique de la société civile du Pays Basque.

A cette occasion, vous avez donc pu échanger avec le ministre de l'Economie Emmanuel Macron. Qu'est-il ressorti de cette rencontre ?

C.P : Je vais lui écrire un joli petit courrier. Pour le remercier de son écoute. Il a entendu la spécificité du Conseil de développement et notre volonté de rester singulier et pertinent pour l'ensemble du territoire.

Vous faites référence au projet d'EPCI unique porté par le préfet, avez-vous précisément abordé ce sujet avec Emmanuel Macron ?

C.P : Non, il était tel une rock star. C'était Mick Jagger et nous étions des ados en rage pour parler avec lui ! Je blague, je n'ai eu que quelques minutes d'échange. De toute façon, nous sommes juste en train de travailler sur notre avenir. Il était difficile de le faire avant que la loi NOTRe soit stabilisée et avant de connaître précisément le contexte institutionnel dans lequel on pourrait évoluer plus tard.

Comment voyez-vous l'avenir du Conseil de développement dans ce cadre éventuel ?

C.P : Que l'EPCI unique se fasse ou pas, il n'y a pas que les intercommunalités. Il y a aussi le Conseil départemental et la Région. Il est important que le Conseil de développement soit celui de tout le territoire, de tous les acteurs du territoire et traite les problématiques de tout le territoire.

Donc, qu'il ne soit pas directement intégré à l'EPCI ?

C.P : Il faudrait que l'on garde un positionnement singulier. Par exemple, nous travaillons en ce moment sur la pauvreté, une problématique transversale liée entre autres aux transports. Ce domaine concerne l'EPCI mais aussi le Conseil départemental qui gère des transports scolaires. Ou encore, les TER et là c'est la Région. En fait, nos sujets ont toujours été et seront toujours transversaux.

Quel modèle juridique souhaiteriez-vous alors pour garder ce rôle d'interface ?

C.P : On ne le sait pas pour l'instant. La loi NOTRe dit que l'EPCI met en place un conseil de développement. C'est à la fois précis et flou. Il n'y a pas plus de précision sur la structuration. Donc, toute hypothèse est envisageable.

Nous devons garder notre intelligence collective sur des sujets qui sont les compétences de tous les acteurs publics. Sur d'autres territoires, le Conseil de développement n'intervient que sur les compétences de l'EPCI auxquelles il est rattaché, ça limite le champ. Il est aussi vrai que tout peut être traité en partant des compétences de l'EPCI. C'est pourquoi nous sommes dans une phase de réflexion.

Quelles sont les échéances importantes du Conseil de développement dans ce cadre ?

C.P : Le 9 février, nous avons présenté aux élus du territoire nos propositions, nos pistes de réflexion. Ce qu'un de mes vice-présidents appelle le Conseil de développement 2.0.

Ensuite, la restitution des travaux d'approfondissement par les élus et les services de l'Etat interviendra début mars. Ce ne sera pas un projet clé en main. Il sera un outil d'aide à la décision pour les élus qui inclura le rôle du conseil de développement. Quoi qu'il en soit, on continuera à faire ce qu'on fait depuis 20 ans, à savoir co-construire avec les élus.

Et, au 1er janvier 2017, si l'EPCI se fait, il va y avoir beaucoup de choses à structurer. Peut–être que le Conseil de développement restera un moment sous forme associative. Ou ne changera pas et sera toujours sous forme associative. Dans tous les cas, je pense qu'il y aura une période de transition.

Le Conseil de développement s'est fortement engagé en faveur de l'EPCI, pourquoi ?

C.P : Nous sommes le reflet de nos membres qui eux y sont favorables. D'abord, en juillet dernier, ils ont choisi de soutenir l'approfondissement de l'étude pour l'EPCI unique, à l'unanimité. Et suite à cette étude, en septembre ils se sont dits favorables à l'EPCI unique, à 98 %. Alors, nous les avons mobilisé pour qu'ils donnent leur avis et nous avons décidé d'innover sur notre façon de rédiger ces avis.

En quoi consiste cette nouvelle méthode ?

C.P : On présente des pistes. Puis, nous envoyons un questionnaire en demandant à nos membres d'en débattre dans leurs structures et de nous faire une restitution par vidéo ou par courrier. Ce sont ensuite ces restitutions qui formalisent notre avis. Elles sont mises en ligne sur notre nouveau site internet, pour que tout le monde puisse s'en emparer. Nous sommes une structure exemplaire en terme de démocratie participative.

Certains maires et conseillers municipaux pensent que l'EPCI peut être contreproductive, notamment pour le tissu économique.  Ils alertent sur une hausse de la fiscalité. Par ailleurs, le Medef s'est déclaré opposé au projet. Cela ne vous inquiète pas ?  

C.P : Le vote du Medef est un vote largement téléguidé. Je fais confiance en mes membres et en la société civile qui, somme toute, financent le secteur public. Ce sont nos charges et nos impôts qui financent les institutions.

Justement, eux expliquent que ces impôts risquent d'augmenter…

C.P : Quand on regarde de près les calculs de lissage, il y a quand même assez peu d'incidence. Pour les villages ou les villes où il n'y a pas du tout de CFE [cotisations foncières des entreprises, ndlr.], il y aura effectivement des petites conséquences. Des mécanismes de solidarité pourront être mis en place.

Je tiens à rappeler que 70 % des terres du Pays Basque sont en Soule et Basse-Navarre. 15 % de la population ne peut pas payer pour 70 % des terres. La jolie carte postale du Pays Basque que l'on vend sur la côte, ce sont les montagnes. Pour nous, société civile, avoir une politique cohérente, en matière de transports notamment est la moindre des choses. J'habite Villefranque, et nous n'avons pas de bus… J'ai passé l'enfance de ma fille à faire des aller-retour tous les jours sur la côte.

Sur la problématique des transports, le cabinet New Deal, sollicité par le Scot a démontré qu'il y avait plus d'interactions entre la côte et le Seignanx , qu'entre la côte et l'intérieur du Pays Basque.

C.P : Ce que je sais, c'est que nous sommes en 2016 et que nous n'avons toujours pas de politique de transports cohérente. Si c'était facile à mettre en place avec un syndicat, ça aurait été fait. Force est de constater que ce n'est pas fait. Deuxième chose, il faut aller vers la rationalité. Aujourd'hui, la France n'est pas un millefeuille mais un "dix-mille feuille". En Angleterre, il y a un élu pour 2 000 citoyens. En France, un élu pour 108 citoyens. Je veux bien qu'on soit l'exception française. Mais, il faut un juste milieu entre les deux. Encore une fois, nous société civile, moi chef d'entreprise, on paye pour ça.

Un mot de conclusion ?

C.P : Notre conseil de développement est un modèle. Maintenant, il faut qu'on réussisse notre transition.