Propos recueillis par Argitxu Dufau
Elkarrizketa
Txetx Etcheverry
Porte-parole d'Alternatiba

"Le résultat de la COP21 est désastreux"

Samedi 12 décembre, l'accord de Paris pour le climat était adopté, ovationné par les représentants des Etats du monde et l'ONU. A quelques kilomètres de là, sur le champ de Mars, 15 à 20 000 personnes étaient rassemblées pour dénoncer une COP21 aux allures de mascarade. Parmi elles, Txetx Etcheverry, porte-parole d'Alternatiba.

Txetx Etcheverry © Isabelle Miquelestorena
Txetx Etcheverry © Isabelle Miquelestorena

Quel bilan dressez-vous de l'accord signé samedi 12 décembre, par la COP21 ?

Txetx Etcheverry: A Durban, en 2011, les chefs d'Etats du monde et l'Onu ont décidé de se donner les moyens d'arriver à un vrai accord international pour contenir le réchauffement climatique en dessous des 2°, deux ans après l'échec de Copenhague: ils ont alors préparé la COP21. (...)

Chaque Etat devait mettre sur la table les objectifs de réduction de ses propres émissions de gaz à effet de serre. Il s'agissait aussi de mettre en place des mesures pour agir avant 2020, mais l'accord signé à Paris n'entrera en application qu'à partir de cette date.

Pour moi, le résultat est désastreux. Nous l'avons qualifié de capitulation et de trahison du mandat de la COP. Il y a une énorme part d'"enfumage" dans cette histoire : tous les gouvernements se félicitent d'avoir signé l'accord, mais la question n'est pas de l'avoir signé mais de voir s'il protège la planète, et surtout l'humanité, du dérèglement climatique, de son aggravation et de son accélération. La réponse est clairement non.

Les climatologues ont averti qu'il faut agir significativement dès maintenant, que nous n'avions plus qu'une dizaine d'années pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et enrayer le dérèglement climatique. Il nous faut surtout éviter de dépasser les seuils où le climat s'emballe de manière incontrôlable et irréversible, situés entre 1,9° et 3,5° degrés.

Qu'en est-il concrètement de cet accord ?

T. E.: Il concerne une très grande majorité des Etats du monde, 186 sur 195, je crois, et couvre 96 à 98 % des émissions de la planète. Les calculs et la méthodologie comptable de l'Onu montrent qu'il nous amène à un réchauffement de plus de 3°. La différence avec l'objectif initial est abyssale. De plus, cet accord n'est pas globalement contraignant, il ne s'accompagnera pas de sanctions si les objectifs fixés ne sont pas respectés. La trajectoire pourrait être encore plus grave.

Les dégâts auraient pu être limités par la mise en place d'un mécanisme de révision obligatoire des "engagements planchers" à améliorer très rapidement. Mais rien de prévu à ce niveau. Un forum doit revisiter les objectifs en 2018, sans contraindre les Etats, et les premiers mécanismes d'évaluation et d'éventuelles révisions n'interviendront qu'en 2023. Ce qui sera trop tard pour agir.

On assiste aussi à un recul par rapport au protocole de Kyoto. Pour contenir le réchauffement en dessous de 2° (chiffre préconisé par le GIEC), les pays développés devaient limiter leurs émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 25 % à 40 % d'ici 2020, pour une réduction de 50 à 70 % des émissions mondiales en 2050. Tout ça a sauté du texte.

Par contre, de nouvelles choses sont apparues : garder le réchauffement climatique en dessous des 1,5°. Sauf que ça, ça ne veut rien dire. C'est même ridicule. (...) L'augmentation de la température mondiale est de 0,85° depuis la révolution industrielle, mais les gaz déjà émis dans l'atmosphère agissent pendant des dizaines, voire des centaines d'années une fois produits. Si demain on arrêtait 100 % de la production des gaz à effet de serre, le réchauffement passerait tout de même automatiquement à 1,4°.

Qu'a-t-il manqué à ces négociations ? Un engagement de la part des Etats ?

T. E.: Il a manqué plusieurs choses des objectifs chiffrés pour 2020, 2025, 2030… de réduction très concrète et ambitieuse des gaz à effet de serre. (…) Il y a quelque chose d'incroyable : sont exclues des négociations les émissions produites par le transport aérien et le transport maritime international, qui ne sont pas affectées aux Etats (puisque par définition internationales). Elles représentent pourtant 10 % des émissions totales et sont en croissance exponentielle. (...)

Rien non plus sur les énergies fossiles, alors que 80 % des émissions de CO2 mondiales sont le fait de l'extraction, de la transformation et de la combustion des énergies fossiles: le pétrole, le gaz et le charbon. On parle de ce qui est dans les tuyaux, mais pas de ce qui les y fait rentrer.

Pour l'agence internationale des énergies, contenir le réchauffement climatique en-dessous des 2° implique de laisser sous le sol deux tiers des réserves actuellement connues des énergies fossiles : 30 % du pétrole, 50 % du gaz et 80 % du charbon. Dans la pratique, c'est exactement le contraire qui prévaut. 650 milliards de dollars annuels partent à l'extraction et à la distribution de ces énergies fossiles, dont 70 milliards financés par le G20. La contradiction est énorme.

D'autres chiffres officiels : si on exploitait la totalité des réserves d'énergies fossiles actuellement connues, avec les technologies actuellement maîtrisées, le réchauffement s'élèverait de 9°. Ce qui nous conduit à la fin de l'humanité.

Vous attendiez-vous à un tel bilan, où êtes-vous déçu ?

T. E.: On savait déjà avant la COP qu'on était dans une trajectoire qui nous amenait à un réchauffement de 3° parce qu'on connaissait les engagements portés par les Etats et la COP. Mais il aurait pu y avoir une panoplie d'actions fortes avant 2020, et des mises en place de financements additionnelles pour la décarbonisation de l'économie des pays les plus pauvres.

Ces pays sont dans une logique de développement pour sortir de leur misère, construire des routes, des hôpitaux, des écoles, production des énergies… mais ils le font avec des technologies de pays pauvres, très fortement émettrices de gaz à effet de serre car ils n'ont pas les moyens de se payer les brevets de technologies moins polluantes. Or, une bataille était engagée dans l'accord pour lever les droits de propriété intellectuelle pour les technologies bas carbone. Ce qui a sauté du texte.

Ce qui amène aux fameux 100 milliards pour l'aide à l'atténuation (réduction des émissions de gaz à effet de serre) et à l'adaptation (protection face aux changements climatiques) des pays pauvres, les moins responsables des gaz émis en l'histoire et qui sont pourtant aux avant-postes de leurs conséquences, comme les typhons, la montée des océans…

Cette somme devait les aider à mettre en place des énergies propres. Elle ne fait pas partie de l'accord de la COP21, mais de ses "décisions". Et les "décisions" peuvent être remises en cause par les prochaines COP. De plus, ces financements ne sont que des prêts effectués par des banques privées ou publiques qui chercheront un retour sur investissement (...). Une autre bataille était de consacrer la moitié de ce financement à l'adaptation, qui ne rapporte pas d'argent (contrairement à la construction d'éoliennes, par exemple ndlr.), mais ça n'a pas été obtenu.

La notion de financement additionnel est elle aussi passée à la trappe (l'installation de nouvelles sources de financement, via des taxes sur les transactions financières, les transports aériens et maritimes etc. ndlr.) (...) Ils auraient eu pour effet de décourager les transports, les techniques fortement carbonées ou d'encourager à relocaliser les productions. (...)

Mais alors, comment expliquez-vous les réactions de joie au Bourget, Laurent Fabius au bord des larmes…

T. E.: Notre rôle est d'informer l'opinion publique mondiale que nous n'avons pas du tout débouché sur un accord qui permette de stabiliser le climat. Il va nous falloir mettre les bouchées doubles pour la mobilisation sur des campagnes internationales.

Avec la pression des citoyens sur les fonds de pension, les universités, les compagnies d'assurance, les collectivités locales… nous devons pousser les personnes qui ont des fonds placés à les sortir des énergies fossiles pour les réorienter vers les énergies propres, mener des batailles pour l'arrêt des subventions publiques aux énergies fossiles.

Il va falloir créer un rapport de force, ce qu'on essaie de faire avec des processus comme Alternatiba ou d'autres dynamiques de ce type, pour ne pas lâcher le morceau. Et pour augmenter le rapport de force, que la pression sur les dirigeants soit telle qu'ils ne puissent pas assumer de ne pas renégocier un nouvel accord dans les années à venir.