Bénédicte Saint-André

L’exception basque

Le Théâtre du Versant, organisateur du Colloque International de Biarritz, a mis à l’honneur les langues et la diversité culturelle. Nicolas Tournadre, linguiste au CNRS, a traité avec un enthousiasme non dissimulé l'"isolat" basque.  Son ambition pour l’euskara s’est toutefois heurtée au "réalisme politique" de Loïc Depecker, délégué général aux langues de France pour le ministère de la Culture. 

Loïc Depecker, délégué ministériel aux langues de France, a annoncé travailler sur une évolution législative concernant les langues régionales. ©DR
Loïc Depecker, délégué ministériel aux langues de France, a annoncé travailler sur une évolution législative concernant les langues régionales. ©DR

Ne nous y trompons pas, Nicolas Tournadre est un spécialiste des langues tibétaines non bascophone. Il a profité du 7ème colloque international de Biarritz pour relever le paradoxe entre le destin exceptionnel du basque et son absence de visibilité. Loïc Depecker, du ministère de la Culture, a préféré envisager le basque comme une composante parmi d’autres des langues de France, et encourager une reconnaissance patrimoniale déjà amorcée.

Ma mère a préparé le repas : "Nere amak bazkaria prestatu du" en basque, "Nga ra’i amagis kha.lag bzos dug" en tibétain. C’est cette extrême ressemblance sonore et formelle qui fera tomber l’étudiant Tournadre dans la marmite euskara. Un hasard linguistique qui déterminera ce qu’il aime appeler son "zergatik", "pourquoi" en basque, en référence à l’ergativité verbo-nominale de cette langue qui le passionne.

"A cause de son lexique unique mais surtout de son statut d’isolat mystérieux et de sa grammaire ahurissante, le basque a exercé et continue d’exercer une fascination sur de nombreux linguistes. Sa grande flexibilité syntaxique aurait démultiplié les variantes de Molière autour de Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Pour autant, les spécificités extraordinaires du basque restent méconnues par le grand public, les pouvoirs publics et sans doute même par certains Euskaldun. Le basque reste en France invisible et inaudible. Il est toujours considéré comme une petite langue régionale", développe le linguiste.

En effet, le basque est un des 220 phylums présents dans le monde, à savoir qu’il n’a aucune parenté génétique avec d’autres langues. Il y a en Europe les langues indo-européennes, finno-ougriennes et le basque, micro famille regroupant plusieurs dialectes avec une forme écrite standard le "batua" ou "basque unifié". Et il fait partie de la dizaine d’isolats dans le monde qui ont une grande vitalité selon les experts.

Dès lors, le linguiste pointe un trésor patrimonial ignoré par l’Etat français. "Pourquoi cette exception, résistante aux invasions et langues dominantes, n’est-elle pas assortie d’une conscientisation nationale ?" s’interroge-t-il, le regard appuyé dans celui du délégué général. "Pourquoi la France s’est-elle crue obligée depuis la première guerre mondiale de la réprimer fortement ?".

La loi est fausse

A cet égard, il souligne que la définition française comporte un hiatus lourd de sens. "Elle entend par langues de France les langues régionales ou minoritaires parlées par des citoyens français sur le territoire de la République depuis assez longtemps pour faire partie du patrimoine culturel national, et qui ne sont langue officielle d’aucun état".  Le basque est co-officiel dans l'Etat espagnol. Par cette approche, la loi est fausse et se défausse, selon le linguiste : "On ne peut traiter le basque comme les langues romanes ou celtiques".

Un point sur lequel le haut fonctionnaire du ministère en fonction depuis cinq mois ne répondra pas, préférant laisser sa carte "en guise d’ouverture". Le Sénat ayant définitivement enterré la charte européenne des langues régionales et minoritaires, tous deux semblent d’accord pour déjouer le blocage institutionnel par une loi française.

Co-officialité de la langue basque

Est-il possible d’envisager une co-officialité du basque comme le souhaite les acteurs linguistiques ? Le représentant du gouvernement bottera en touche : ce sera au Parlement de décider. "Le plurilinguisme n’est rien d’autre que le rapport harmonieux avec d’autres langues, d’autres cultures, il n’est pas une menace. Nous en avons pleinement conscience au ministère", tempère-t-il.

Le représentant de l’Etat, agrégé de grammaire, en veut pour preuve la déclaration de Cayenne du 18 décembre 2011 portée par sa délégation et qui rappelle l’égale dignité des langues. Il reprend également l’article 75-1 de la Constitution qui précise que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. "Nous avançons progressivement dans la reconnaissance institutionnelle, la prochaine loi culture ira dans ce sens", avance-t-il. Le linguiste ironise : "la triste actualité montre que quand les politiques veulent changer les textes, ils le font très rapidement. Ici clairement, il n’y a pas de volonté à faire évoluer les choses".

Pour autant les esprits ne doivent pas devenir "skyzophones". La vitalité d’une langue ne se résume pas à sa reconnaissance institutionnelle. "Il faut donc continuer à enseigner dans les ikastola, maintenir la dynamique avec les élus locaux, améliorer la symbolique de la double-signalétique et surtout produire en basque, énormément. Que les jeunes l’entendent au cinéma, le chantent, lisent des corpus", encourage-t-il. Le patrimoine est avant tout l’émanation du peuple, et le basque, qui aurait pu disparaître maintes fois, est sédimenté par les siècles.