Argitxu Dufau

Conférence humanitaire : entre état des lieux et appel lancé

La Conférence humanitaire pour la paix au Pays Basque s'est tenue aujourd'hui, jeudi 11 juin, à l'Assemblée nationale. Les prises de parole d'acteurs politico-sociaux locaux et internationnaux se sont enchaînées démontrant l'importance de la reconnaissance de toutes les victimes et de l'engagement indispensable des Etats français et espagnol.

La Conférence s'est tenue dans la salle Victor Hugo de l'Assemblée nationale (©Goizeder TABERNA)
La Conférence s'est tenue dans la salle Victor Hugo de l'Assemblée nationale (©Goizeder TABERNA)

Paris a été la terre d'accueil de la paix au Pays Basque, ce jeudi 11 juin. Acteurs politiques, sociaux, syndicaux, religieux, locaux et internationaux de tous bords ainsi que des victimes se sont rassemblés à l'Assemblée nationale pour donner un nouveau souffle au processus de paix engagé au Pays Basque.

Après l'ouverture de la Conférence par Marc Gentilini, président honoraire de l'Académie de médecine et de la Croix-Rouge, Anaiz Funosas, présidente du mouvement civil Bake Bidea, et Paul Molac, député breton, Pierre Joxe a pris la parole.

L'ancien ministre de l'Intérieur et de la Défense, signataire de la Déclaration d'Aiete, estime "qu'assez d’années ont passé pour que l'on puisse se pencher sur la question humanitaire. C’est ce qui paraît le plus urgent, le plus facile à mettre en oeuvre". Il rajoute que la paix au Pays Basque ne se réduit pas à la question humanitaire mais qu'il s'agit aussi "d'une question politique".

"J'ai aussi participé à une collaboration avec Felipe Gonzalez [ancien président du gouvernement espagnol de 1982 à 1996, ndlr] et José Barrionuevo [ministre de l'Intérieur sous F. Gonzalez, ndlr]", a-t-il déclaré. Une "collaboration" en pleine époque du GAL "pas toujours facile". "Rocard était parfaitement au courant de tout (…). Ces pages sont tournées depuis très longtemps", conclut-il à ce sujet.

"Il y a un Pays Basque en France, a-t-il reconnu, ETA ne figure plus dans la liste des organisations terroristes, du point de vue de l'Europe, la page est tournée". Pour lui, la Déclaration d'Aiete a été un moment d'espoir et de confiance, la Conférence de ce jour ,"un élément pour consolider la paix".

Une lettre de Michel Rocard, Premier ministre sous François Mitterand, a été lue. Il a, entre autres, demandé au gouvernement français de s'impliquer dans la résolution du conflit. Une déclaration forte, sachant qu'il est considéré comme le père politique du Premier ministre actuel, Manuel Valls.

"Des progrès accomplis lorsque les gens parlent"

Les élus locaux, signataires de la Déclaration d'Aiete, ont ensuite pris la parole tour à tour. Jean-Jacques Lasserre, président du Conseil départemental, remarque "les progrès accomplis lorsque les gens se parlent". "La France se caractérise par sa force de centralisation qui rend difficile toute approche territoriale", admet-il. Il a terminé en invitant les Etats français et espagnol à participer au processus de paix.

La sénatrice socialiste, Frédérique Espagnac, est revenue sur les quatre années qui ont suivi la signature de la Déclaration d'Aiete : "nous avons eu quatre ans pour construire un chemin pour faire avancer la question basque dans le respect des "deux camps" ". Elle considère que les acteurs de la paix doivent être "des ponts" pour aider les personnes qui veulent se tendre la main. Elle a rajouté que la question des armes doit être réglée.

Max Brisson, vice-président du Conseil départemental aussi présent à Paris, a souligné que "toute solution est politique, le Pays Basque mérite une solution politique". Il a rappelé l'importance de la Déclaration de Bayonne, intervenue trois ans après Aiete. Il a reconnu "la participation indispensable de la France pour tourner la page de la violence". "Nous avons parfois l'impression de faire face à de l'indifférence voir de la surdité, l'indifférence peut amener à un retour en arrière que nous ne voulons pas".

La reconnaissance de toutes les victimes

Les prises de parole ont ensuite laissé place à l'exposé "réconciliation et vivre-ensemble : la place des victimes dans un processus de paix". Pierre Hazan, ancien conseiller politique aux Nations Unies, s'est penché sur la question de la souffrance de toutes les victimes "qui est un point essentiel car la paix passe par la reconnaissance de toutes les victimes". Il a donné les chiffres du gouvernement basque, rappelant le nombre de victimes et blessés durant le conflit  ainsi que les plaintes pour torture, 5 500 au total. "Ces chiffres ne font pas état des menaces, du racket, des abus, de la violence policière, admet-il, il y a eu 40 000 arrestations, dont 10 000 étaient en lien avec ETA".

"La torture a été utilisée de façon systématique jusque dans les années 80", insistant sur le fait que Madrid ne reconnaisse comme "vraies" victimes celles d'ETA alors que ce ne sont pas les seules.

Axun Lasa s'est livrée à un témoignage émouvant concernant son arrestation et les tortures infligées par la Guardia Civile espagnole : "un calvaire qui laisse des traces toute la vie". Elle poursuit, "je suis la sœur de Joxean Lasa". Ce dernier a été torturé et emmené au Sud de l’Espagne où il avait reçu un tir sur la nuque et été enterré sous de la chaux aux côtés de Joxi Zabala. Lors du procès, en 2000, Enrique Rodriguez Galindo avait été condamné, parmi d'autres, à de la prison ferme mais n'a accompli que 7 % de sa peine, explique la sœur de la victime.

"J'ai passé plusieurs années à avaler la douleur"

"Pourquoi je suis ici à raconter tout ça ? J’ai passé plusieurs années à avaler la douleur. Jusqu’à ce que je réagisse. Cela a été une grande libération : rencontrer les autres victimes, partager des sentiments de souffrance identiques. Cela n’a pas été facile. Aujourd'hui, on se retrouve régulièrement. Je ne veux pas lutter contre quelque chose, mais en faveur de quelque chose".

Elle raconte aussi ne plus pouvoir vivre sereinement : "j’ai du mal à être à côté d’un garde civil, ma douleur rend difficile le chemin vers la réconciliation avec eux".

A son tour, Brandon Hamber a insisté sur l'importance des témoignages des victimes, "cela fait partie de la résolution". Le Directeur de l'Institut de recherche sur les conflits internationaux et sur la justice transitionnelle a développé l'expérience Sud Africaine "les commissions Justice et Vérité".

A 11 heures, les participants sont intervenus sur l'enjeux et le rôle des détenus dans le processus de paix. Raymond Kendall, secrétaire général d'honneur d'Interpol, a introduit en qualifiant cette Conférence d'"un grand espoir". "Il faut travailler pour créer des conditions durables pour que la paix puisse exister" rappelant le nombre de détenus dispersés dans plusieurs pays "à des centaines voir des milliers de kilomètres de leur famille". Dispersion dont ont été victimes 16 personnes sur les routes pour se rendre aux parloirs.

"Sortez de cette posture guerrière"

Gabi Mouesca, ancien détenu basque et président de l'Observatoire international des prisons (OIP) et co-président du comité des Droits de l'Homme au Pays Basque a salué le discours de Raymond Kendall. C'est avec une grande émotion qu'il "a porté la question des détenus basques à l'Assemblée nationale" en ayant une grande pensée pour eux. Il a fait le point sur les conditions de détention actuelle : longues peines, problèmes de santé qui "sont des mises à mort lentes" , arrestations récentes d'avocats, de professionnels de soins ou de proches… "Le seul objectif est d'isoler les prisonniers pour les empêcher de contribuer au processus de paix".

Des conditions difficiles qui ne portent tout de même pas atteinte à la volonté des prisonniers de continuer à défendre la paix et "d'aller de l'avant pour une paix juste et durable", considère-t-il. Il a interpellé directement les responsables politiques pour leur implication dans le processus : "donnez sens au mot "responsable", sortez de cette posture guerrière comme ont su le faire les élus du Pays Basque Nord", a-t-il conclu sous les applaudissements.

Un constat a été dressé de l'expérience irlandaise à la réalité basque par Brian Currin, avocat, spécialiste des droits humains, de la transformation des conflits et des processus de paix. Même constat pour la dispersion : "on devrait rapprocher les prisonniers et libérer les plus malades" car il lui est "douloureux de voir que la dispersion s'applique encore aux prisonniers politiques".

"Le succès viendra de l'engagement des Etats français et espagnol"

Enfin, Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme a insisté sur le fait qu'il est "plus difficile de faire la paix que de faire la guerre" pour cela "il faut rétablir un réel dialogue". Aller de l'avant sans toutefois "faire comme s'il ne s'était rien passé". Pour lui, la clef de la paix au Pays Basque passe "par la reconnaissance de toutes les victimes".

La conclusion de la Conférence humanitaire pour la paix au Pays Basque a été prononcée par Serge Portelli, magistrat et président de la chambre de la Cour d'appel de Versailles : "le dernier conflit armé d'Europe occidentale est entré dans sa phase de résolution, le succès viendra de l'engagement des États français et espagnol".

Après la lecture de la "Déclaration Paris pour la paix au Pays Basque", les mots de Bertie Ahern ont clôturé la rencontre historique. La salle s'est levée et a applaudi la signature des 110 personnalités et associations de la déclaration demandant au gouvernement français de s'engager dans le processus de paix pour la résolution du conflit au Pays Basque.