Justine Giraudel
Elkarrizketa
Jean-Marie Broucaret
Directeur artistique du théâtre des Chimères

Jean-Marie Broucaret : "l'association des Translatines est toujours vivante"

Mardi 17 mars l'annonce tombait : après trente-trois ans d'existence, Les Translatines mettent la clé sous la porte, suite au désengagement financier de la Ville de Bayonne. Une décision radicale qui continue à surprendre Jean-Marie Broucaret, fondateur du théâtre des Chimères, la compagnie organisatrice du festival. Elle s'inscrit dans un contexte culturel en crise.

Après 33 ans d'existence, le festival des Translatines ne sera pas reconduit en 2015. © Bob EDME
Après 33 ans d'existence, le festival des Translatines ne sera pas reconduit en 2015. © Bob EDME

Vous attendiez-vous à la décision de la Ville de Bayonne ?

Jean-Marie BROUCARET : Pas vraiment, on savait depuis quelques mois que ça allait être difficile et on était sur nos gardes. Le contexte national tire vers le bas, vous avez dû entendre parler de la cartocrise de la culture, on avait entendu des bruits de couloir qui n'étaient pas très positifs, mais on ne s'attendait pas à un retrait aussi total de la part de la Ville de Bayonne. Au niveau local, les autres municipalités Biarritz et Anglet, intervenant à des degrés moindres, étaient présentes. La radicalité de la décision a été une surprise.

C'est donc le désengagement de cette commune qui a signé l'arrêt du festival ?

J-M. B : Voilà. D'après ce que j'en sais, mais il faudrait peut-être chercher les informations de première main auprès des concernés, la Ville de Bayonne n'a plus souhaité porter en tête de pont le festival. Jusqu'à présent, c'était le partenaire financièrement le plus engagé. Les raisons qu'ils nous ont avancées sont que les temps sont difficiles, que les communes se retrouvent avec des charges supplémentaires, et ce sans budget supplémentaire. Ils émettaient la possibilité d'un financement intercommunal, partagé à égalité, ce que les autres municipalités n'ont pas dû accepter, par les échos que j'en ai. Avec un manque de temps de concertation qui fait que ça n'a évidemment pas abouti. C'était à peu près couru d'avance.

D'après ce que vous en savez… cela veut dire qu'on ne s'est pas tourné vers vous pour vous expliquer la situation ?

J-M. B : On m'a averti qu'il y aurait des réunions entre les différents adjoints à la Culture des communes. Mais nous n'avons pas été conviés, par exemple, à une réunion de travail pour essayer d'envisager des solutions. Par contre, à la fin du mois de janvier, nous avons essayé de réunir tous les financeurs, de l’État jusqu'aux Villes, en passant par la Région et le Département, pour essayer d'avoir les positions de chacun. Entre-temps, voyant les menaces générales qui pesaient sur les manifestations, nous avons mené un diagnostic dans le cadre du Conseil général. Etait ressortie une proposition d'allègement des subventions de près de 50 %, seuil en dessous duquel on ne pouvait maintenir le festival, en s'appuyant notamment sur la nouvelle salle d'Anglet.

Ces propositions ont été faites à l'ensemble des partenaires, mais n'ont pas permis de résoudre le problème. Les aides de la Région et du Département étaient reconduites, sans augmentation, mais en suivant le mouvement : c'est le désengagement de la Ville de Bayonne et l'impossibilité d'arriver à une solution intercommunale qui fait qu'elles se sont elles aussi retirées, voyant bien que la manifestation ne pourrait conserver le niveau qu'elle avait eu jusqu'alors.

Avez-vous définitivement tiré un trait sur le festival ?

J-M. B : Je crains que le festival ait subi un revers qu’il lui sera très difficile de surmonter. Je ne vois pas comment, actuellement, les choses pourraient évoluer dans ce sens. Maintenant, nous allons nous y employer : l'association des Translatines est toujours vivante. Elle va continuer à exister pour entretenir des liens avec l'Amérique latine, peut-être que les Translatines feront des apparitions ponctuelles, dans le cadre de saisons culturelles d'opérateurs locaux (Scène Nationale, FIPA, ICB) ce qui nous permettrait de travailler un terrain pour trouver des solutions.

Ce festival appartient à tout le monde, il a été conçu et organisé par le théâtre des Chimères, mais c'est la volonté de tout un public, de tout un partenariat associatif et scolaire qui a permis son existence pendant 33 années, sans se fatiguer. Il n'est peut-être pas impossible que, face à cette décision, le mécontentement se fasse entendre et incite les personnes qui l'ont prise à se repositionner. Je ne sais pas mais je l'espère, en tous les cas.

Faites-vous le lien entre la subvention qui ne vous a pas été accordée et l'arrivée du festival Kulture Sport en juin prochain, à Bayonne ?

J-M. B : Cette question est délicate, parce que je n'en sais rien. La seule chose que je peux dire, c'est que j'observe. Et j'observe qu'effectivement des festivals comme les Translatines et comme les Rencontres Improbables (organisé par la compagnie bayonnaise les Lézards qui bougent, ndlr) perdent leurs subventions, à un moment où un autre festival se crée. Donc on est obligés, sans mauvais esprit, de faire la relation ; d'autant que la Ville de Bayonne y apporte de l'argent, sans que les lignes budgétaires bougent, et il faut bien en trouver quelque part.

Vous avez abordé la cartocrise de la culture, le festival des Rencontres Improbables. Le festival des Océaniques disparaît lui aussi cette année : quels sont les risques pour la dynamique culturelle du territoire ?

J-M. B : Actuellement, il y a une déstabilisation très forte des politiques culturelles en France, notamment depuis les dernières élections. Il y a des re-positionnements radicaux de la part des élus, qui mettent un terme à des actions qui gardaient pourtant une belle vitalité. Et ce pour imprimer leur patte à leur mandat électoral. Ce qui est dommageable.

Cette cartographie est à double tranchant : on se dit que Bayonne est dans la masse de ces villes obligées de mettre un terme à des actions pour des raisons économiques. Sauf que Bayonne crée un nouveau festival, et qu'à côté de ces cent festivals qui disparaissent, beaucoup sont maintenus. Les politiques culturelles doivent être d'une grande détermination pour affirmer que la culture est un vrai domaine de lutte, contre une crise et une morosité ambiante, pour tous les secteurs sur lesquels elle peut se répercuter.


J'en appelle véritablement à ce que les acteurs culturels se réunissent pour essayer de faire infléchir les politiques culturelles, dans le sens d'une réponse apportée aux besoins des gens et pas seulement à l'image des villes.

Il y a donc un lien entre culture et volonté politique ?

J-M. B : Je pense que les hauts responsables des communes, lorsqu'ils ont des politiques culturelles très déterminées, arrivent à les maintenir et à les faire exister malgré les difficultés. Le festival des Translatines, unique en son genre, est une richesse et cette richesse doit être défendue. Finalement ces festivals sont faits avec de l'argent public, ce sont des services publics : un festival sur l'Amérique latine ne pourra jamais être monté avec des financements privés.

Je suis surpris que l'adjoint à la Culture, que j'ai vraiment apprécié, semble ne plus être sur les mêmes critères depuis qu'il est devenu maire. Mais il est aussi vrai que la Ville de Bayonne souhaite soutenir les Chimères : elle nous a accordé une aide au loyer, elle nous donne peut-être des possibilités d'un conventionnement… donc je sais que Jean-René Etchegaray ne souhaite pas la disparition du théâtre des Chimères. Mais je pense, et je le lui ai dit, qu'il se trompe en ne répondant pas aux besoins d'un festival comme les Translatines. On peut faire des erreurs, mais là, l'erreur est dramatique et je pense qu'il sera bien difficile de s'en relever.