Ramón SOLA

Les victimes

Les actions conjointes entre victimes des deux parties du conflit ne sont plus de l'ordre de l'extraordinaire. Celle qui s'est déroulée hier à Hondarribia a transmis un message : l'interpellation catégorique de tous les politiques. Les victimes ne comprennent pas qu'ils n'emploient pas la même volonté qu'elles à résoudre le conflit.
(Traduit de GARA)

La conférence de ''Bidasoan Elkarbizitza" à Hondarribia.
La conférence de ''Bidasoan Elkarbizitza" à Hondarribia.

Les journées de Errenteria avaient ouvert la brèche, c'est maintenant au tour de la vallée de la Bidasoa de prendre l'initiative d'encourager la réconciliation. La radio Antxeta Irratia inaugurait ce jeudi 5 février le cycle ''Bidasoan elkarbizitza'' à Hondarribia. Elle a réuni autour de la table Cristina Sagarzazu qui perdit son mari Montxo Doral, dirigeant de la Ertzaintza, dans une voiture piégée par ETA en 1996 ; Josemi Gómez Elosegi, frère du psychologue de Donostia (militant du syndicat ELA) mort un an après dans un attentat perpétré par cette même organisation ; Fermin Urtizberea, victime de nombreuses opérations de la guerre sale et de la répression, dont un enlèvement de trois jours en 1988 ; Belen Zabala, nièce de Jesús Mari Zabala, abattu par la Guardia Civil pendant les fêtes de Hondarribia en 1976.

Parler n'a été facile pour aucun d'entre eux. Urtizberea, qui a décrit un calvaire d'enlèvements de menaces et d'agressions, a reconnu qu'il ne l'a jamais fait en public : ''Et ce sera sûrement la dernière fois''. C'était aussi la première fois que Zabala racontait cet après-midi au cours de laquelle la Guardia Civil chargea brutalement sur les fêtes de Hondarribia, et l'appel qu'elle passa chez elle où on lui appris ''qu'il y avait des nouvelles, mon oncles était à l'hôpital. J'ai su par la suite qu'il était déjà mort à l'admission''. Sagarzazu a expliqué qu'elle avait dit au revoir à Doral sur le pas de la porte et qu'elle entendit l'explosion : ''A ce moment-là tout s'arrêta et quelque chose de nouveau commença''. Gomez Elosegi rapporta ce que lui avait coûté de surmonter la perte de son seul frère  : ''Deux mois après son décès, je me retrouvais seul et me mis à pleurer, pleurer de rage.''

Les récits crus du passé ont laissé place aux conclusions sur le présent, et aux désirs pour le futur. Ce qui a conduit à une interpellation directe de l'ensemble des représentants politiques, sans exception. Gomez Elosegi est allé droit au but : ''Il faut leur demander plus de courage. Je m'inquiète de leur attitude parce que je crois dans la politique. Mais je n'aime pas le discours agressif qu'ils tiennent, et je parle de tous. Il faut désarmer le discours et introduire l'éthique.''

''Une chose me paraît très curieuse – continua le frère du fonctionnaire des prisons. Nous arrivons à chaque fois à des accords entre nous, car un point nous unit : la souffrance. Nous sommes capables de nous mettre à la place de l'autre. Pourquoi les politiques en sont-ils incapables  ?''

Urtizberea a conclu en ces termes le récit de ses années de persécution politique : ''Ceci est mon histoire. Si j'ai accepté de venir ici, c'est pour apporter ma contribution et je crois que nous devons tous le faire. Nous en avons maintenant l'opportunité. Si nous souhaitons trouver une paix durable, c'est le moment et nous devons tous ouvrir la marche.''

Il a demandé aux politiques ''de ne pas penser aux votes qu'ils pourront gagner demain ni aux accords qu'ils peuvent faire avec l'autre''. Mais la position de Urtizberea va plus loin : il réclame une Justice qui s'implique en faveur de la vérité, des moyens pour changer radicalement d'état d'esprit, des collectifs ''pour la paix'' qui ''parlent moins mais agissent plus''... De plus, cet ancien conseiller de Herri Batasuna pense qu'il faut être honnête et aller jusqu'au bout : '' Parce que tant qu'on ne trouvera pas de solution au conflit, chacun restera sur ses positions.''

Seule la veuve de Montxo Doral a émis un doute en se demandant s'il est indispensable que ce soit les politiques qui s'occupent de cette question. Et de lâcher que ''peut-être qu'ils ne savent pas le faire''.

La vérité en suspend

Le chemin pour la réconciliation a d'autres étapes à franchir. La première est celle de la vérité. Urtizberea a raconté que personne n'a été puni pour les attaques dont il a été victime dans les années 70. Pour le cas de Jesús Mari Zabala, un guardia civil a été condamné mais a été amnistié par la loi de 1997. ''Nous ne gardons pas de rancoeur, cela n'aurait en rien allégé notre douleur, mais qu'on puisse tuer des gens ainsi engendre de l'impuissance.'' Il a raconté une anecdote difficile à croire. Quand les familles se rendirent au Gouvernement Civil pour signaler le décès, cette instance décida de sortir une note officielle. A la stupeur des proches, le mort était taxé de ''délinquant d'Irun''. Ils protestèrent et on leur répondit qu'il s'agissait d'une erreur, qu'on avait voulu écrire ''dessinateur'', sa profession. Remuer le couteau dans la plaie.

Le public a demandé aux victimes si elles attendaient qu'on leur demande de pardonner. Sagarzazu nuança, en expliquant qu'il ne peut répondre à cette question étant donné qu'il ne sait pas qui a exécuté l'attentat. Zabala pense que ce serait inutile car ''cela ne ressuscitera personne''. Gómez Elosegi admet une certaine valeur apaisante, si cela se fait sans spectacle.

Tous accordent bien plus d'importance aux actions comme celle qu'ils ont menée hier [5 février], à la recherche de solutions, de discussion. ''Et surtout à l'écoute'' ajoute Sagarzazu, convaincue que ''ce que dit l'autre fait aussi partie de la vérité''. Elle aussi apportait une anecdote très révélatrice de la façon dont les choses se sont passées jusqu'à peu. L'après-midi où son mari fut tué une station de radio qu'elle ne voulut pas nommer l'appela pour la prévenir qu'elle passerait à l'antenne, et quand elle expliqua qu'elle n'était pas en état de parler elle s'entendit dire à l'autre bout de la ligne : ''Vous attendez les instructions de Sabin Etxea (le siège du Parti Nationaliste Basque) ?''. A la suite de quoi elle décida d'apporter son témoignage à chaque fois qu'elle le pourrait, comme ce fut le cas hier.

Les deux heures de discussion ont distillé petites et grandes histoires. Gómez Elosegi a révélé comment sa mère reçut la nouvelle de l'hospitalisation de Fernando Elejalde (un des présumés assassins de son fils), détenu et isolé après l'attentat : ''Elle l'a entendu à la radio et a dit 'entre ceux qui tuent et ceux qui frappent, ce pays n'a personne qui cherche à le mettre dans la voie de la résolution.' Pas plus qu'elle ne pouvait comprendre qu'on ait tué son fils, elle ne comprenait qu'on ait maltraité cet homme''. Par la suite, il sut que sa mère avait même planifié de se rendre à l'hôpital ''pour lui demander pourquoi il l'avait fait''. Et lui suspecte son frère d'avoir servi d'appât aux FSE (Forces de Sécurité Espagnoles) pour attraper le commando. Les récits d'un passé complexe et tragique, les voix pour un futur à construire.