Caroline MALCZUK

La permaculture, une révolution déguisée en jardinage

Adrien Bellay présente son documentaire "L'éveil de la permaculture" au Pays Basque à partir de la semaine prochaine. Plus que du jardinage, la permaculture est un mode de vie qui implique un changement radical de ses habitudes de production et de consommatsion. Explications avec Adrien Bellay qui a rencontré les pionniers du mouvement dans les quatre coins de l'Hexagone.

Adrien Bellay, réalisateur de "L'eveil de la permaculture", est en tournée au Pays Basque.
Adrien Bellay, réalisateur de "L'eveil de la permaculture", est en tournée au Pays Basque.

Comment l'idée de faire un documentaire sur la permaculture a-t-elle germée ?
Adrien Bellay : Le film est né d’une amitié. Un ami a découvert la permaculture en Australie, en 2012, lors d’un voyage. Il y a passé un an. Il a eu la chance de travailler dans des fermes. Il est tombé dans une qui pratiquait la permaculture. Pour lui, c’était vraiment une découverte. Quand il est rentré en France, il s’est impliqué dans la permaculture à Montpellier. Il est venu me voir. Je travaillais en tant que monteur vidéo pour la télévision. J’avais à coeur de développer des documentaires autoproduits, indépendants. Quand il est venu me parler du projet, cela m’a intéressé. Le projet a mûri. Un an plus tard, on a fait la rencontre de deux pionniers du mouvement en France. Suite aux discussions, on s’est rendu compte qu’il y avait un manque de communication autour du sujet. On assimilait la permaculture a une simple pratique du jardinage. On a pu filmer un cours de design autour de la permaculture. On est venu avec nos caméras rencontrer toutes les personnes désireuses d’en apprendre un peu plus et de se lancer. C’était notre repérage. On nous a conseillés d’aller voir pas mal de monde du mouvement.

Prendre soin de l’homme, prendre soin de la nature et partager les ressources est une des définitions données dans le documentaire de la permaculture. Mais comment expliqueriez-vous à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler ?
A.B : La permaculture est une science et un art de l’aménagement des systèmes humains. Cette science s’inspire des modèles rencontrés dans la nature qui sont pérennes, résilients et stables. Finalement, on reproduit ces systèmes aux systèmes humains. L’idée c’est donc d’intégrer harmonieusement ces systèmes dans les écosystèmes. Cette science s’appuie sur ces trois principes qui sont prendre soin de la nature, prendre soin de l’homme et partager équitablement les ressources. La permaculture, c’est plus un mode de vie, une philosophie qu’un mode de production. Ça touche à tous les domaines de la vie. Elle englobe à la fois l’agriculture, l’habitat, l’économie, les modes de gouvernance, la santé… C’est une science qui est globale. On dit que c’est une vision systémique. C’est une science qui s’intéresse d’avantage aux interactions entre les éléments qu’aux éléments en tant que tels.

Tout au long du film, on voit que la permaculture est pratiquée en communauté, dans un esprit collectif. Est-ce que cela ne serait pas aussi une illustration d’un certain rejet de l’individualisme dans la société ?
A.B : Oui, bien sûr. C’est aussi cette dynamique là. Ce sont beaucoup de néo-ruraux et d’anciens citadins qui se sont mis à la permaculture car ils sont au coeur du monde de la consommation et de l’individualisme. A travers la permaculture, l’idée est de recréer du lien social. On vit en collectivité, on apprend à s’entraider les uns les autres. C’est aussi ce que viennent chercher les gens dans les stages. Recréer du lien entre chacun, trouver un équilibre et créer de l’entraide. La permaculture s’est construite pour créer une alternative au système dominant, au système capitaliste.

La permaculture implique de changer radicalement de mode de vie car elle est fondamentalement opposée aux modes de consommation actuels. Est-ce que vous ne pensez pas qu’elle peut susciter la peur des personnes qui ne sont pas prêtes à renoncer à leurs habitudes ?
A.B : Il faut placer cela selon les besoins, les motivations de chacun. Il y a des gens qui sont prêts à être très radicaux, à se mettre dans une situation d’inconfort, faire des sacrifices. Dans le film, on a plutôt affaire à ceux qui ont fait ce choix de la radicalité. Mais on peut garder un pied dans la vie de tous les jours et opérer une transition. Mais chacun peut se l’approprier à sa façon et opérer une transition à différentes vitesses. On peut appliquer la permaculture à différents échelles. A l’échelle du jardin, à l’échelle d’une ferme et, plus globalement, à l’échelle d’une ville. On a des villes en transition qu’on imagine structurer de façon différente. Donc la radicalité du choix de la permaculture, elle est très variable. Cela dépend des projets de chacun.

Plusieurs formateurs affirment qu’elle est à la portée de tous. Quels premiers pas devrait faire une personne qui décide de s’y initier ?
A.B : Souvent, la porte d’entrée, c’est le jardinage. Un premier moyen de faire de la permaculture c’est de se reconnecter à la terre. Pourquoi pas simplement pratiquer du jardinage dans les jardins associatifs, les jardins ouvriers, les jardins urbains. Il y a tout un tas de possibilités pour pratiquer le jardinage en étant inspiré de la permaculture. C’est une première approche. Si on veut creuser un peu plus le sujet, il y a des formations, des cours d’introduction à la permaculture, des cours de design. Et là, on est vraiment dans une démarche plus globale qui s’adresse à des personnes qui veulent appliquer la méthodologie du design sur leur lieu de vie. Sans viser l’autonomie alimentaire, on peut déjà envisager une production à l’échelle d’un balcon. C’est ouvert à tous, chacun peut y trouver son compte.

Comment prend forme cet "éveil", mot que vous reprenez dans le titre de votre documentaire ? Par la multiplication des formations en permaculture, par la diversification des profils des personnes qui la pratiquent ?
A.B : C’était encore très confidentiel il y a dix ans. Et aujourd’hui, cela se démocratise. Les formations se multiplient. En l’espace de deux, trois ans, il y a de plus en plus de dialogue entre les élus, les acteurs locaux et les permaculteurs. On peut voir des actions permaculture à l’école, on peut voir des programmes d’écoles d’ingénieurs agronomes ajouter des chapitres de permaculture dans les cours. Très clairement, il y a un mouvement naissant qui est mondial. D’où le choix du mot éveil. Mais c’est aussi éveiller le spectateur à cette pratique.  

"Ce n’est pas quelque chose qui peut être commandé, dirigé d’en haut" est une des citations marquantes du film. Autrement dit, on ne peut pas compter sur les institutions, les politiques pour la développer. Est ce donc une révolution qui se fait par le bas, pas les gens ?
A.B : Exactement. C’est l’idée des permaculteurs. Le changement viendra de la base, d’en bas. Chaque action, individuelle ou collective, de la part des citoyens ou des associations, mise bout à bout peut impliquer des transformations globales de la société. Graham Bell, un écrivain qui a publié un ouvrage sur la permaculture, disait qu'elle est "une révolution deguisée en jardinage".

Dates des avant-premières de "L'éveil de la permaculture" au Pays Basque : 

Les séances, organisées par les AMAP locales, seront suivies d'un débat puis d'un buffet partagé (bio, local, circuit court et amapien, bien sûr !) .

- Cambo, cinéma l'Aiglon, lundi 27 mars, à 20h30

- St-Jean-de-Luz, cinéma Le Sélect, mardi 28 mars, à 20h30

- St-Jean-Pied-de-Port, cinéma Le Vauban, mercredi 29 Mars, à 20h

- Saint-Palais, cinéma St Louis, jeudi 30 Mars, à 20h30