Bénédicte SAINT-ANDRE

Et si l’on disait non à la transparence ?

MEDIABASK lance une nouvelle série, "au filo de l’actu" afin de poser un regard distancié sur les événements qui font l’actualité. Pour ce premier épisode "Démocratie et transparence", la parole est à Gorges Colomar. Sémillant retraité, cet agrégé de philosophie nous offre une réflexion éclairée sur ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler les "affaires" en politique. Mieux, il les prend pour prétexte pour donner à penser. Car en démocratie, rappelle-t-il, être un citoyen bien informé est une condition essentielle.


Georges Colomar a enseigné au lycée René Cassin à Bayonne © Aurore Lucas
Georges Colomar a enseigné au lycée René Cassin à Bayonne © Aurore Lucas

Alors que l’injonction de transparence n’a jamais été aussi forte, notamment depuis l’affaire Fillon, la voix de Georges Colomar est assez singulière. A Claude Bartolone, qui tout juste élu à la tête de l’Assemblée nationale en 2012 déclare vouloir en faire "une Maison de verre", il répond sans ambages que ce n’est qu’une "posture", qu’il y a un nécessaire secret dans l’exercice du pouvoir.

Que voulons-nous ? Une société Orwellienne dans laquelle on ne puisse préserver aucune zone d’ombre ? Cette tendance, amorcée depuis la campagne de VGE n’est autre, explique-t-il, qu’une américanisation de la vie publique, une "importation du puritanisme anglo-saxon". L’homme qui veut réussir doit rendre des comptes sur tous les aspects de sa vie. Il est sous le regard de l’opinion comme sous celui  de Dieu, "qui sonde les reins et les cœurs". Aurait-on vu le général de Gaulle poser avec Yvonne sur une affiche, franchement ?!

Pour autant, s’il est bien un domaine qui doit être éclairé, c’est celui de l’exercice du pouvoir par ceux qui nous représentent. Puisque le citoyen délègue sa volonté, il doit pouvoir vérifier cette délégation. "D’ailleurs le pouvoir ne s’attache pas à une personne mais à une fonction", rappelle-t-il. Les affaires elles ne font que révéler de façon quasi-accidentelle ce qui dysfonctionne dans cette délégation.

L’intégrité, un leurre

Pouvons-nous compter, comme Rousseau, sur des hommes intègres ? Georges Colomar répond par Kant : "Le bois dont l'homme est fait est si noueux qu'on ne peut y tailler des poutres bien droites". Bien sûr, un homme probe, allant jusqu’au sacrifice de soi peut exister, "cela s’appelle un héros", un homme providentiel. Nous devons donc faire avec les hommes ordinaires. Il estime d’ailleurs tout aussi insidieuse la notion de "moralisation de la vie politique". 



"On ne demande pas aux hommes au pouvoir d’être moralement parfaits. On leur demande sur un point donné, la vie publique, qu’ils puissent en rendre compte. Et bien sûr, de ne pas utiliser ce pouvoir à des fins qui sont autres que celles prévues au départ". De ce biais-là, naissent toutes les affaires liées à l’immobilier, à l’urbanisme, les ascenseurs que l’on se renvoie...


Mais le machiavélien qu’il est nous met là encore en garde. "La politique c’est l’art d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir". On demande aux hommes politiques de vaincre, tranche-t-il. Nous sommes nous-mêmes ambigus dans nos exigences. La preuve en est, des hommes politiques condamnés sont ensuite réélus.

Le droit et non la morale 


Cela nous amène néanmoins à penser ou repenser nos structures, à faire en sorte que l’exercice du pouvoir se régule par la mécanique du pouvoir elle-même. Ainsi parlait Spinoza.  Cela doit permettre aux hommes de se conduire correctement, "c’est-à-dire conformément au droit et non pas à la morale". C’est ce qu’a également tenté le gouvernement socialiste après l’affaire Cahuzac, via les déclarations de patrimoine et la création d’un parquet national financier.

Le positivisme juridique -Hobbes au 17e siècle et Hans Kelsen au 20e - dit : les normes morales sont éminemment variables, il appartient à la loi seule de définir le permis et le défendu. Alors il faut faire évoluer les lois et la jurisprudence. Le Parlement européen interdit d’employer quelqu’un de sa famille…

A cette exigence, l’enseignant de philosophie ajoute la notion d’un nécessaire équilibre des pouvoirs car "seule une force peut arrêter une force". Montesquieu prônait cet équilibre et singulièrement l’indépendance du pouvoir judiciaire. "Mais force est de constater qu’il reste encore dépendant du système politique". Il faut donc favoriser l’émergence d’autres pouvoirs, dont la presse ou la  démocratie participative mais là encore non sans risque. Tout pouvoir peut devenir excessif...

La vie de la démocratie réelle suppose donc beaucoup de conditions. Que le citoyen soit "bien" informé. Le pluralisme mais aussi la lutte contre la surinformation et la désinformation sont donc absolument nécessaires. Il doit également avoir la capacité de former son propre jugement et de se confronter aux opinions des autres. Il faut donc des  espaces publics de discussion, de débat comme le prônait Paul Ricœur. Et enfin au moment du vote, la démocratie suppose une urne transparente certes. Ainsi qu'une enveloppe qui ne le soit pas. Rideaux !