Propos recueillis par Justine Giraudel
Entrevista
Anaiz Funosas
Porte-parole de Bake Bidea

"Jusqu'à quand ne nous poserons-nous pas les bonnes questions ?"

Les 3, 4 et 5 mai prochains le mouvement civil Bake Bidea organise trois rencontres autour du processus de paix, nourries de l'expérience colombienne. A Saint-Jean-de-Luz, la première conférence interrogera la participation de la société civile. Le lendemain, à Ainhice-Mongelos dans les locaux de Laborantza Ganbara, place à la thématique de la terre. Le ciné-débat de clôture, à Espelette, débattra de la question de la mémoire historique. Pour que ces questions inondent la place publique et que la société civile avance concrètement dans la résolution du conflit, explique Anaiz Funosas.

© Isabelle Miquelestorena
© Isabelle Miquelestorena

Pourquoi s'emparer de l'exemple du processus de paix colombien ?

Anaiz Funosas: Il s'agit d'un processus de paix et de négociation qu'on peut vivre en direct, et nous voulons le rendre accessible à la société civile du Pays Basque Nord. Nous avons rencontré Carlos Alberto Ruiz Socha au forum de Gernika. Juriste, il est l'un des assesseurs à avoir participé à l'élaboration des contenus des accords de Paix en Colombie, à la Havane. Nous faisons appel à lui en tant que témoin des conséquences du conflit et de la construction du processus de paix.

Qui plus est, le processus colombien bénéficie du soutien de l’État espagnol. Pourtant, ce dernier refuse toute discussion chez lui avec son propre groupe armé. Nous souhaitons aussi amener cette contradiction.

Que retenez-vous de ces premiers contacts avec Carlos Alberto Ruiz Socha ?

A. F: La première chose est que, malgré des milliers et des milliers de morts, de disparus, de déplacés, malgré un conflit d'une rare intensité, un processus de négociation est en cours. C'est donc possible, même face à autant de violence.

Ce qui nous amène à nous interroger : pourquoi avons-nous ici deux Etats qui refusent de s'engager, bien que nous ayons tout pour mettre en place un tel processus ? Un groupe armé prêt à engager les pas nécessaires, une société civile prête elle aussi à s'engager… Avec Carlos Alberto Ruiz Socha nous voulons comprendre ce qu'il se passe autour de cet espace de dialogue, autour de cette table de négociation. Echanger sur la façon dont ils se construisent, sur ce qu'on y amène, sur les causes et les conséquences du conflit, les solutions explorées…

Comprendre, encore, comment a été réfléchie la place de la société civile. Se projeter. Car nous sommes persuadés que nous allons nous-même y arriver en Pays Basque. Cet espace de négociation doit se mettre en place car, sans lui, il n'y aura pas de processus de paix juste et durable. Et la société civile doit être celle qui amène les conditions pour instaurer le dialogue, pour que tout soit fait dans le respect du plus grand nombre.

L'exemple des initiatives colombiennes, territoire par territoire, par la diversité de sa population, est là encore édifiant. Les habitants ont dû fuir leur terre… Comment reconstruit-on tout ça ? Comment permet-on à chacun de retrouver sa place ?

Et pour toucher le plus grand nombre, vous vous déplacez…

A. F: Rien ne sera fait à Bayonne. On commence à décentraliser les contenus pour toucher un maximum d'acteurs. D'où le fait de se rendre à Saint-Jean-de-Luz, d'aller chez EHLG ou d'organiser un ciné-débat à Espelette.  La question du processus de paix doit de plus en plus entrer dans les foyers. Avoir des acteurs politiques engagés, comme c'est notre cas, ne veut pas dire que la majorité de la population comprenne de quoi on parle. Aujourd'hui, les personnes les plus concernées sont celles qui ont vécu le conflit dans leur chair, nous voulons ouvrir cette prises de conscience. Et éviter le débat d'initiés.

Tout processus de paix se construit avec l'individu vivant sur le territoire en conflit. C'est lui qui construira le processus de paix, y mettra ce qu'il y voudra, pas l'expert venu de l'extérieur. La question initiale est : vers quoi veut-on aller ? Que doit résoudre ce processus de paix, tant sur le volet victime, vivre-ensemble, que politique. Nous devons tous nous accorder sur ces points. (...)

La clé d'un processus de paix qui fonctionne est qu'il soit déterminé en accord avec la majorité. Pour éviter la frustration, qui pourrait conduire la génération suivante à le refuser, à demander à tout reprendre à zéro. C'est là notre responsabilité.

Une société voulue "conscientisée", et qui se fait aussi moyen de pression sur les Etats ?

A. F: Pour nous, elle est l'un des leviers principaux, la seule à pouvoir faire avancer ou évoluer les mentalités des politiques. Plus elle sera nombreuse et diverse, plus il sera difficile pour les dirigeants de ne pas l'entendre.

Si le consensus actuel sur la résolution du conflit basque existe, c'est parce que des politiques se sont engagés, marqués par cette société civile. Je suis convaincue que le travail mené autour d'Aurore Martin a permis une prise de conscience différente chez certains élus ou partis, un changement stratégique de la part d'organisations syndicales (…). La société civile a su dépasser les clivages et dire "jusqu'à quand se laissera-t-on faire, jusqu'à quand ne nous poserons-nous pas les bonnes questions ?" (…)

A quelle étape se situe Bake Bidea ? Après celle de la réflexion, celle de la communication ?

A. F: Nous sommes dans la communication mais aussi dans la réflexion profonde pour structurer concrètement le processus de paix. Au cours des colloques à Paris ou ici, nous nous demandons comment construire le processus de paix secteur par secteur. (...) Comment instaurer un espace de réflexion et de discussion permanent, entre tous ? (...) D'où l'intérêt d'un témoin colombien pour nous faire part de l'expérience de la société civile, qui a contribué à ce qu'elle ne soit bien présente dans l'espace de négociation.

La société civile, le rapport à la terre, la justice transitionnelle. Pourquoi avoir choisi ces trois thématiques. Ce sont celles du moment ? La porte d'entrée pour comprendre le conflit et son processus de résolution ?

A. F: En trois jours on ne peut pas faire le tour complet de la question. Ces thématiques nous sont apparues comme celles sur lesquelles nous devons nous interroger pour l'avenir. (...) Et nous pensons qu'il est nécessaire de penser la justice transitionnelle dès maintenant, de ne pas la reléguer au plan des négociations.

En créant le mouvement Bake Bidea, nous avons décidé de prendre l'initiative face à un grand moment : Aiete. Une déclaration [17 octobre 2011, ndlr.], la réponse favorable d'une organisation armée [le cessez-le-feu d'ETA, 20 octobre 2011 ndlr.] Nous nous sommes dit "jetons-nous à l'eau". Et on a nagé dans cette piscine, sans bouée, avec en ligne de mire un vivre-ensemble à déterminer.

Comment réussir à revivre ensemble ? Comment faire pour accepter les passés de ce conflit ? (…) Comment chacun raconte cette histoire ? La narration est le nœud des conflits. Le souci majeur est là : tant qu'elle persistera dans un rapport dominant/dominé il sera difficile d'avancer.

La justice transitionnelle déterminera le vivre-ensemble de demain ?

A. F: En grande partie. Nous défendons une justice transitionnelle permettant de révéler la vérité, de tous.  Permettant à tous de travailler sur la mémoire, permettant la reconstruction. J'ai retenu, entre autres, une phrase de Jean-Pierre Massias au cours du forum Chrétiens du mois dernier : "Ce n'est pas la paix qui fait la justice transitionnelle, c'est la justice transitionnelle qui fait la paix." Cette question est fondamentale pour la reconnaissance de toutes les victimes. Elle va permettre de trouver l'issue à la question des détenus et des réfugiés politiques, elle amènera les clés de compréhension aux futures générations. Il nous faut travailler dans cette perspective : quel avenir, quelle vision leur laisse-t-on ?

 

 

Programme :

Le 3 mai, à 19:30 – "La participation de la société civile dans le processus de paix" – Grillerie  de sardines, Saint-Jean-de-Luz

Le 4 mai, 21:00 – "Le processus colombien et la question des terres" – Laborantza Ganbara, Ainhice-Mongelos

Le 5 mai, 20:30 – "Impunité" suivi d'un débat autour de la mémoire historique – Salle du patronage, place du Marché, Espelette