Ximun Larre

"Le Pays Basque Sud ferait mieux de regarder le Nord avec plus d'humilité"

Invité de MEDIABASK pour une conférence publique vendredi 17 juin, à Hendaye, Arnaldo Otegi a évoqué les enjeux majeurs du Pays Basque. Il a notamment porté un regard positif sur les évolutions récentes du Pays Basque Nord.

Le public a pu poser des questions par écrit à Arnaldo Otegi.©Bob Edme.
Le public a pu poser des questions par écrit à Arnaldo Otegi.©Bob Edme.

C'était une première en Pays Basque Nord. Plus de deux cent personnes ont répondu à l'invitation de MEDIABASK vendredi soir, à l'auditorium Antoine d'Abbadie d'Hendaye, pour écouter et interpeller Arnaldo Otegi. Ce dernier a d'abord répondu aux questions de Goizeder Taberna et Béatrice Molle-Haran de MEDIABASK, Iurre Bidegain de Kazeta et Arantxa Manterola de Gara. Le secrétaire général de Sortu a largement évoqué le processus de paix et surtout émis un jugement positif sur l'évolution politique et institutionnelle du Pays Basque Nord.

Arnaldo Otegi est sorti de prison il y a un peu plus de trois mois. Il aura passé six ans et demi derrière les barreaux, payant au prix fort l'illégalisation par l’État espagnol du parti Batasuna. Il en ressort déterminé. Pour preuve, il sera le candidat de la gauche abertzale cet automne, au poste de lehendakari (président) de la Communauté autonome d'Euskadi. L'homme n'a rien perdu de son charisme et avoue que ses années de prison lui ont donné un "certain recul" sur les évènements.

Il a bien sûr été question du processus de paix vendredi soir. Arnaldo Otegi a rappelé le rôle de la communauté internationale. A ce niveau, selon lui, "il n'y a pas un état en Europe qui comprenne le blocage, surtout, de l’État espagnol", bien que dans le même temps "cette communauté n'exerce pas les pressions nécessaires". Si l’État français continue de s'aligner sur son voisin, "cette situation n'est pas irréversible" pour Arnaldo Otegi.

La solution pourrait venir d'une prise de conscience de l'aspect humanitaire du problème, en particulier en ce qui concerne la dispersion des prisonniers. "Si autrefois l’État espagnol justifiait cela par la volonté d'affaiblir ETA, aujourd'hui, la dispersion n'a pas d'autres but que de faire mal" explique-t-il.

Le Pays Basque Nord cité en exemple

Concernant le Pays Basque Nord, Arnaldo Otegi ne tarit pas d'éloge sur son évolution politique, ces dernières années : "le Pays Basque Sud ferait mieux de regarder le Nord avec plus d'humilité, car nous avons beaucoup à apprendre de lui". Et de souligner un "Pays Basque Nord développé sur une culture de l'accord politique", tandis qu'au Sud les intérêts électoraux et les divergences politiques seraient trop forts.

A propos de l'intercommunalité unique, Arnaldo Otegi y voit une avancée. "Même si ce n'est pas la solution rêvée pour les abertzale, c'est une reconnaissance territoriale du Pays Basque Nord" explique-t-il. Et si l'exercice ne tient pas du référendum direct, Arnaldo Otegi y voit un exercice démocratique et en vante la méthode : "on a pu en parler dans toutes les mairies (…). Les avancées sont d'autant plus importantes si elles se font dans un cadre démocratique, elles deviennent alors irréversibles".

Arnaldo Otegi regarde aussi du côté de la Catalogne. La question de la réforme du statut y a engendré, selon lui, "une frustration qui s'est transformée en mouvement de construction nationale". Les partis y laissant au passage l'initiative à la société civile, assez loin de ce qui se passe en Pays Basque. "On peut s'en inspirer mais on ne doit pas oublier de se regarder dans un miroir", explique-t-il.

Le leader indépendantiste se prête également à l'exercice de l'autocritique. Evoquant le fol espoir suscité par les accords de Lizarra-Garazi, signé en 1998 par les forces abertzale, Arnaldo Otegi pointe la stratégie électoraliste du PNB mais ajoute "nous avons aussi commis des erreurs et nous avons nos responsabilités".

L'arrivée de la crise... et de Podemos

Puis, il y a eu le temps des succès politiques pour la gauche abertzale. "Les priorités ont commencé à changer chez les gens avec l'irruption de la crise économique". Arrivée de la crise donc, au moment où la gauche abertzale connaissait ses meilleurs succès électoraux. Crise de laquelle émanera le mouvement Podemos.

"Se regarder dans le miroir", c'est également regarder en face la fracture récente au sein de la gauche abertzale, née des frustrations sur la question des prisonniers. "Oui, il y a une scission", concède Arnaldo Otegi avant d'ajouter, "il ne faut ni la sur-valoriser, ni la mépriser". Et surtout, il ne veut pas dissocier cette question des prisonniers "de l'ensemble du processus de paix".

Dans quelques mois les électeurs de la Communauté autonome basque renouvelleront le parlement de Gasteiz. Lorsqu'on demande au candidat Otegi s'il envisagerait plutôt une alliance avec Podemos ou le PNB, l'homme prend soudain le temps de réfléchir, un peu embarrassé, avant de lâcher : "pourquoi ne demandez-vous pas à eux qui ils choisiraient ?". Le candidat Otegi en est convaincu, "la gauche abertzale arrivera dans les deux premières positions". Il lui faudra sans doute pour cela regagner du terrain sur Podemos.